Opera, de Dario Argento


Après le semi-échec injustifié du très beau Phenomena, considéré  souvent par les fans comme le chant du cygne du réalisateur, Dario Argento va entamer une longue et périlleuse traversée du désert. Les admirateurs de l’auteur de Suspiria commencent à douter, voire à se détourner de leur idole. Après 1985, Argento va traverser une crise personnelle et existentielle qui atteindra son paroxysme lors du tournage d’Opera.

Conçue dans la douleur, l’œuvre affiche,  de la première à la dernière image,  une noirceur irraisonnée, une vision de l’humanité désenchantée. La misanthropie atteint ici un point de non retour, à peine atténuée par le dernier plan final, qui s’achève par une note d’espoir factice. Le film, qui tourne autour du Macbeth de Shakespeare, pièce connue  pour ses malédictions successives, fut compliqué à monter: désistement au dernier moment de Vanessa Redgrave, décès d’un acteur écrasé par une voiture, caractère insupportable de l’actrice principale, problème de santé de Ian Charleson ,  séparation imminente avec sa muse Daria Nicolodi et j’en passe… Argento a certainement vécu un enfer. Pourtant, doté d’un budget confortable de 8 millions de dollars, épaulé par de brillants collaborateurs, dont Ronnie Taylor, chef opérateur de Phantom of the paradise, Opera pouvait devenir l’une des pièces maitresses du cinéaste, synthétisant toutes ses obsessions formelles et thématiques.

La présence de Ronnie Taylor à la photo n’est sans doute pas fortuite. Au fond, le scénario écrit par Franco Ferrini et Argento, est une adaptation, ou plutôt une variation morbide du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux, comme l’était partiellement le film de Brian De Palma.

Une jeune cantatrice inexpérimentée remplace la diva du Macbeth de Monteverdi, victime d’un accident. Mais cette chance se transforme en malédiction quant un tueur rode dans le théâtre:  les cadavres commencent à s’accumuler.

Le fantôme n’est évidemment pas représenté physiquement. Il est une entité abstraite, une menace qui envahit et assombrit les lieux, ce théâtre dominé par la présence inquiétante des corbeaux. La dimension surnaturelle est prégnante et contamine les images  aux tonalités froides, agressives. Elle s’insinue dans les moindres  recoins d’un décor baroque et anxiogène au point de relayer l’intrigue au rang d’accessoire, de passage obligé.

La structure giallesque d’Opera ressemble à un compromis rationalisant une trame narrative  qui aurait gagné  à rester tapie dans le flouet l’indicible. A la manière d’Inferno, même si formellement on se retrouve aux antipodes de ce dernier, pur délire surréaliste et ésotérique.

De ce fait, la révélation de l’identité du tueur s’avère frustrante, elle provoque un sentiment de déception car l’ubiquité de l’assassin en faisait une sorte de silhouette revenue des enfers, protégeant et martyrisant la jeune cantatrice dans un rapport amour/haine particulièrement dérangeant.

Comme dans Phenomena, mais de façon beaucoup plus explicite car s’écartant du conte de fée, Opera raconte le parcours intérieur d’une jeune fille qui va se confronter à sa propre sexualité, et par extension, à sa frigidité. Qui ne peut alors que s’exprimer par la mort violente de son entourage. C’est la deuxième lecture possible du film que de l’envisager sous l’angle de la psychose, d’un dérèglement  intérieur d’une héroïne qui aurait matérialisé une figure maléfique, qui s’en prend à tous ceux qui s’approchent d’elle.

La séquence traumatisante, où elle assiste au meurtre ultra-sanglant de son petit ami est très significative. Attachée à un lit, les paupières ouvertes avec des aiguilles l’empêchant de fermer les yeux, elle est forcée d’assister au spectacle de la mort après avoir fait l’amour. Le refoulement du désir atteint ici une littéralité assez fascinante.

L’incarnation du tueur serait à ce moment une pure émanation de son esprit malade, opérant ainsi un dédoublement de sa personnalité. Bien sûr, le scénario ne va pas au bout de cette idée forte mais elle est là, en filigrane, d’autant que moins de 10 ans plus tard, lorsqu’Argento réalise Le syndrome de Stendhal, il en fera le sujet central.

A sa sortie, le film fut très mal reçu, y compris en Italie. Aucune sortie en salles ne fut prévue en France, juste en vidéo dans une copie dégueulasse et recadrée avec une version française lamentable. Une injustice aujourd’hui réparée grâce au Chat qui fume, permettant de revoir à tête reposée ce giallo démentiel dans une copie HD restaurée.

La virtuosité de la mise ne scène est éclatante. Argento tente tout jusqu’à saturation, comme s’il livrait un film somme au risque de  se perdre dans un déferlement de morceaux de bravoure aux accents opératiques : mouvements de caméra vertigineux perçu du point de vue des corbeaux, effets  numériques  sur une balle au ralenti traversant le trou d’une serrure avant de le loger dan la tête d’un flic, sauvagerie des meurtres ne lésinant pas sur le gore sur fond de  heavy metal (pas toujours approprié). Autant de sensations qui impressionnent  et qui ne sont pas si gratuites que ça. L’extrême agilité de la caméra qui s’infiltre par tous les trous possibles est aussi un « mal » qui pénètre l’intimité de l’héroïne.

Imparfait, jouissif, envoûtant, complexe, Opera est un grand film de malade défiant la logique du bon goût et de la mesure.

(ITA-1987) de Dario Argento avec Cristina Marsillach, Ian Charleson, Daria Nicolodi, Urbano Barbeni, Barbara Cupisti

FORMAT

Combo BLURAY Double couche (1920×1080/23,976p) – 2 DVD en 16/9ème compatible 4/3

LANGUES : Français – Italien – Anglais. SOUS-TITRES: Français. Zone B & Zone 2. Durée:  1h47 – Version intégrale. Format:  2.35 – Couleur


A propos de Manu

Docteur ès cinéma bis, Manu est un cinévore. Il a tout vu. Sorte d'Alain Petit mais en plus jeune, son savoir encyclopédique parle aux connaisseurs de films méconnus. Il habite près de Montpellier où il peut observer la faune locale : le collectif School’s out, l’éditeur le chat qui fume et l’éditeur Artus Films. Avec son air d’Udo Kier, il n’est pas exclu qu’on le retrouve dans une production de genre.

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