Alors oui, ici c’est cinétrange et pas bédétrange, mais on fait ce qu’on veut.
L’expression argotique « C’est velu » nous vient du XIXème siècle et son emploi est assez rare. Ancêtre du « c’est cool » ou du « c’est swag », il faisait référence à la barbe des étudiants mâles. Au féminin, « velue » ne fait qu’évoquer l’horreur de la grosse araignée qui marche au plafond, ou l’analogie avec le sexe féminin quand il provoque l’épouvante chez certains hommes comme Costes avec sa chanson l’araignée poilue (explicit lyrics).
Dans notre société préformatée, l’adjectif velu ne devrait donc jamais être mis au féminin. C’est pourquoi les aisselles féminines sont systématiquement lisses, et plus bas, même si on autorise un peu de pilosité maîtrisée, point trop n’en faut. Ne parlons pas des jambes, rasées, épilées, à l’aide de produits cosmétiques très chers. L’épuration ethnique du poil fait la fortune des esthéticiennes, que l’on voit rarement battre le pavé pour manifester par manque de travail.
Sur ce thème, l’autrice de bd Tanx imagine l’histoire d’Isabelle, une jeune fille qui a pour particularité d’avoir des poils partout sur le corps et qu’elle doit raser fréquemment pour paraître « normale ». L’histoire s’attache donc à montrer comment Isabelle va gérer sa particularité au sein d’une société normative. Que ce soit chez les proches, les amis ou les relations professionnelles, la jeune femme devra s’adapter ou prendre les armes pour faire accepter sa différence.
Bien sûr, si l’argument d’une pilosité incontrôlable est quelque peu fantaisiste, Tanx exprime avec talent la rage qui bouillonne lorsqu’on est opprimé par son entourage. L’isolement, la peur, les explications que personne n’accepte et surtout le ras-le-bol quand la situation perdure.
Les dessins de Tanx, faits dans un noir et blanc très contrasté, font peur. Personne n’a l’air sympa. L’angoisse et le mal-être transpirent dans toutes les cases. Les visages font presque penser aux personnages torturés dégoûtants de Blanquet.
Tout ce que l’on regrette, c’est la brièveté de l’ouvrage. Il y aurait eu matière à développer toute une mythologie autour du personnage d’Isabelle et les chapitres qui représentent chaque période de sa vie se terminent à chaque fois un peu vite. D’autant que le concept, avec une pointe de fantastique, est très original. Car après tout, si Isabelle évoque le monstre, on croise aussi les codes du superhéros (ou plutôt de la superhéroïne) qui rétablit la justice. Oh pas pour longtemps, car globalement l’oeuvre est sombre et l’issue est à la fois déprimante et logique.
C’est sorti le 5 septembre 2015 chez l’éditeur 6 pieds sous Terre. Vous trouverez ici un intéressant entretien avec Tanx. Et là, un pdf avec un extrait de 10 pages de Velue.