Lorsque deux réalisateurs canadiens copulent ensemble, il ne peut en jaillir qu’un étrange bébé. Guy Maddin et David Cronenberg sont les deux noms que m’évoque le travail de Bertrand Mandico. Il emprunte au premier son goût pour les décors désuets en carton pâte, ses filtres artisanaux, bref, des artifices visuels qui donnent à son oeuvre un côté parfois cheap mais toujours poétique. Et au second, il prend tout ce qui est lié à la nouvelle chair, l’organique qui dérange, l’érotisme trouble (on parle donc du Cronenberg oldschool). Le travail sur le son, les matières, les textures et les couleurs n’est pas sans évoquer aussi le travail d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Mais le réalisateur a un ton bien à lui. Ca fait du bien de découvrir du bizarre bien barré venant de France, le pays de Camping et Barbecue.
Le cinéma de Mandico est protéiforme : on y trouve du théâtre, des arts plastiques, de la performance (on y voit souvent des gens nus et peints faire office de statues). Cette série de trois films courts, intitulée Hormona, donne une bonne idée de son univers. Prehistoric Cabaret présente un bar sordide et underground où une meneuse de revue improvisée (Elina Löwensohn) propose un spectacle un peu particulier à de vieux monsieurs en costume. Grâce à une étrange caméra endoscopique introduite dans l’orifice arrière de l’artiste, nous avons accès à des visions oniriques primitives et colorées. Tout un programme. Comme déjà mentionné, même si cette série de films a été tournée récemment, l’aspect visuel évoque les années 70 ou 80, grâce à l’emploi de nombreux filtres, à l’ajout de parasites et autres tâches sur la pellicule. On a ainsi vraiment l’impression de regarder une oeuvre exhumée d’une autre époque (ou une VHS par moments).
C’est avec une certaine joie que l’on retrouve Elina Löwenhson, ancienne égérie d’Hal Hartley, qui est passée entre temps chez Philippe Grandrieux pour Sombre. En somme, c’est une habituée des univers bizarres et des réalisateurs fous. Elle illumine chacun des courts-métrages de sa présence magnétique et plus qu’une actrice, elle semble être une véritable muse pour Bertrand Mandico.
Notre Dame des Hormones est sans doute le court-métrage le plus ambitieux et le plus long. Deux actrices répètent leur texte dans les bois. L’une d’elle trouve alors une drôle de créature, petit amas de chair poilue et munie d’un appendice évoquant un pénis ou un oeil (ou le doigt d’E.T, au choix). Elles se disputent la chose, essayant de s’en occuper comme un petit animal. Le réalisateur cache à peine une symbolique tout à fait pornographique en jouant avec tous les fluides : les femmes crachent sur la chose, puis elles veulent la lécher, et elles s’obstinent à souffler de la fumée dans un orifice artificiel. Bref, le film convoque toutes sortes de codes de la pornographie de niche, et n’hésite pas à être explicitement graphique par moment. L’on pourra être hermétique à des effets auteurisants (Michel Piccoli en voix-off qui scande de la poésie absconse) mais il faut dire que le charme agit et que l’on reste comme hypnotisé devant cet étrange objet dont on a du mal à cerner les contours et la portée. Visuellement, c’est un régal et Mandrico emprunte beaucoup au thème du conte fantastique, invoquant aussi des mythologies plus ou moins inventées. A propos d’emprunt, Y a-t-il encore une vierge ? revisite l’histoire de Jeanne D’Arc avec un humour caustique (La jeune femme aurait en fait subi un assaut sexuel de la part de son cheval). L’on suit donc une femme aux yeux crevées qui erre dans les champs de bataille, à la recherche d’une vierge.
Hormona a eu l’occasion de passer dans quelques salles de cinéma mais surtout Bertrand Mandico prépare actuellement son premier long-métrage : Les garçons sauvages, que l’on attend avec impatience.