Avant de donner mon avis sur ce remake de Maniac, j’aimerais revenir sur l’original, réalisé au début des années 80 par William Lustig. Un petit voyage dans le temps s’impose. Au début des années 80, la série B américaine va connaître une petite période faste grâce à l’émergence d’une série de cinéastes radicaux tels qu’Abel Ferrara, James Glickenhaus, Lewis Teague, Gary Sherman, Frank Henenlotter bont et bien sûr William Lustig.
William Lustig est l’archétype de l’artisan ayant donné ses lettres de noblesse à une forme de série B agressive, viscérale et très urbaine. Après deux pornos confidentiels, il frappe un grand coup avec Maniac, son premier film traditionnel mais aussi son meilleur. Démarrant son film par un clin d’œil efficace aux Dents de la mer, Maniac est loin du slasher traditionnel, il s’agit bien d’un des films les plus glauques et sanglants jamais réalisés. La caméra de Lustig va coller au basque de Frank Zito, déséquilibré mental, hanté par la présence/absence d’une mère à l’origine du trauma initial. Ce personnage suintant l’horreur, incarné par un Joe Spinell criant de vérité, est un des psychopathes les plus effrayants de l’histoire du cinéma. Le corps empâté, la chair suintant de sueur, le visage marqué, les yeux vitreux déterminent l’apparence obscène de Frank Zito. Spinell apporte une épaisseur à ce pauvre type qui finit même, ambiguïté suprême du film, par provoquer une forme d’empathie.
Tourné dans l’urgence avec un budget inférieur à un million de dollar, Maniac dresse aussi un portrait cru et excessif de la jungle New Yorkaise, avec ses ruelles anxiogènes, son métro désert, ses prostituées qui arpentent le trottoir, ses clodos qui gisent sur le sol. Pur film d’horreur déviant, le film de Lustig s’inspire aussi bien des maîtres du film noir américain (Aldrich, Fuller, Siegel) que de l’esthétique baroque du cinéma de genre italien, Mario Bava en tête. Notamment pour l’explosion des couleurs et l’utilisation du décor intérieur à base de mannequins.
Qu’en est-il du remake, réalisé par Frank Khalfoun, mais hautement supervisé par Alexandre Aja et Grégory Levasseur. Un Maniac tout neuf tout propre avec Elijah Wood et produit en partie par Thomas Langmann. Sur le papier, ça fait très peur. D’autant que je pense intimement que l’original se suffit à lui-même et ne peut être dépassé. Le débat est clos. Pas tout a fait. Le résultat est plutôt surprenant. Loin des remakes inutiles et purement mercantiles de quelques classiques des années 70/80 tels que Les griffes de la nuit, Vendredi 13 ou Halloween, le Maniac de Frank Khalfoun ne peut être taxé à aucun moment de produit opportuniste. On sent un véritable respect pour l’original et une compréhension de l’univers déviant de William Lustig.
Le script, fidèle à l’original, à deux trois trahisons près, est entièrement centré autour de la figure mythique de Frank Zito. Pour rappel, Zito, traumatisé par une mère abusive, est un tueur en série qui scalpe les femmes afin d’habiller des mannequins. Jusqu’au jour où il rencontre Anna, jeune fille dont il semble tomber amoureux. Mais les auteurs radicalisent encore davantage le concept original. Le film est presque entièrement tourné en caméra subjective. Elijah Wood, incarnant un Zito plus frêle et juvénile, est 95% hors champs. Pour ne pas laisser totalement sur le carreau le comédien, Khalfoun joue beaucoup sur des effets de miroirs, des reflets divers à travers les vitres, les armes blanches. La mise en scène virtuose, tout en plans séquences savamment orchestrées parvient à distiller une atmosphère oppressante. Les scènes de meurtres, très éprouvantes, bénéficient d’effets spéciaux remarquables, rendant un bel hommage au travail qu’avait réalisé à l’époque Tom Savini. Khalfoun et Aja rendent supportables les exactions de Zito grâce à une esthétique clinquante proche des giallos tardifs de Dario Argento, accentuées par l’excellente bande son disco pop de Rob, sous influence Goblins.
Ce dispositif a aussi ses limites. Il demeure à mon sens une fausse bonne idée dans la mesure où le film produit l’inverse de l’effet voulu. En ne filmant pas frontalement le psychopathe comme dans les très perturbants Clean, shaven ou Shizophrenia, les auteurs ne parviennent jamais à faire exister réellement le personnage. Il reste une entité abstraite à laquelle on ne peut s’identifier car on ne le perçoit jamais. En reprenant le principe d’un jeu vidéo mais sans l’interactivité, ils passent à côté des intentions initiales, notamment ressentir le quotidien d’un déséquilibré mental, vivre de l’intérieur sa démence. Maniac reste un brillant exercice de style souvent radical et anti-commercial mais quelque peu opaque et désincarné pour atteindre le niveau de son modèle. Et puis y’a pas photo, Joe Spinell était si impressionnant que la simple idée de trouver un remplaçant a du être un véritable casse tête pour les auteurs du remake. D’où l’idée séduisante mais frustrante de la caméra subjective.
Ne boudons pas notre plaisir, enfin pour ceux que ce genre de film procure une certaine jouissance, ce Maniac 2013 est à mon sens l’un des meilleurs remake réalisés ces dernières années. Le film est traversé par un esprit transgressif et borderline que n’aurait pas renié Lustig. D’ailleurs il est coproducteur du film et semble très satisfait du film à en croire ses interventions.
(USA/FRA-2012) de Frank Khalfoun avec Elijah Wood, Nora Arnezeder, America Olivo