Sorti dans une certaine indifférence polie au moment des fêtes de Noël, choix peu judicieux en regard de la noirceur du produit, Malveillance est pourtant un excellent thriller psychologique et peut-être le meilleur film de Balagueró, réalisé en solo.
Dès les premières images on est happé par le nihilisme du propos. César est un gardien d’immeuble qui ne supporte pas le bonheur des autres. Pire, il ne sait pas ce que l’on ressent lorsqu’on est heureux. Il se lève chaque jour sans la moindre motivation avec des idées suicidaires. Sa seule satisfaction, toujours stérile néanmoins, est de pourrir la vie des autres, leur faire perdre leur sourire. Rongé par la jalousie et la convoitise, il va s’acharner sur une jeune locataire, joviale et pétillante, de manière sournoise et perverse sans que celle-ci s’en rende compte. Alors il s’introduit chaque nuit chez elle, injecte du poison dans ses cosmétiques, subtilise des objets, bouche son évier, remplit son appartement de cafards. Pire, il l’endort chaque nuit avec ce que l’on peut deviner être la drogue du violeur. Imaginez la suite. Mais en apparence, César est un brave gars, serviable et gentil, qui donne l’impression d’être entièrement dévoué aux autres. Il rend régulièrement visite à sa mère dans le coma et lui raconte ses méfaits avec une certaine mélancolie dans ses yeux. La référence à Psychose saute aux yeux.
La première qualité de Malveillance réside dans le portrait clinique et inquiétant de ce personnage de gardien d’immeuble, impassible et pervers. Mais contre toute attente, cet individu maléfique provoque finalement une certaine empathie car il s’agit de quelqu’un de profondément dépressif et triste, qui ne peut trouver comme seul réconfort, le malheur d’autrui. Cette figure pathétique et parfois terrifiante entraîne le film dans des contrées inédites faisant basculer le film de terreur classique vers une dimension psychologique particulièrement déstabilisante. Avec son côté placide et monolithique, Luis Tosar, déjà repéré dans Les lundis au soleil et Mes chers voisins, est exceptionnel dans le rôle de César. Sobre et inquiétant, il parvient même à mettre le spectateur dans sa poche et créé du coup une situation plutôt inconfortable. Face à la petite peste de l’immeuble qui essaie de le faire chanter, on en vient presque à compatir de son sort. Un comble quand on pense à ses actions néfastes et son goût morbide pour la manipulation.
L’autre point fort du film réside dans sa mise en scène. On mesure les progrès parcourus par le cinéaste ibérique depuis son premier long métrage, La secte sans nom, qui pêchait par excès de stylisation et un montage cut parfois agaçant. Rien de poseur et tape à l’œil dans Malveillance. La mise en scène, fluide et sobre, est entièrement au service d’un récit particulièrement retors. Les lents travellings avant, arrière et latéraux qui parcourent le film instaurent un climat particulièrement anxiogène qui fait songer à Shining de Kubrick et au Locataire de Polanski. Le décor de l’immeuble, vieillot, loin du modernisme de rigueur, ajoute une touche inquiétante à l’ensemble, comme s’il s’agissait d’une maison hantée.
En dépit de quelques baisses de rythme, Malveillance est une œuvre glaciale et terrifiante s’appuyant sur un scénario parfaitement huilé. L’abondance de références, qui va donc de Kubrick à Buñuel en passant par Hitchcock et Polanski, peut agacer le cinéphile mais Balagueró transcende ce péché mignon en inscrivant son film dans un contexte social pertinent. Il nous parle aussi de la déchéance des rapports humains, de la solitude des individus de plus en prégnante. En s’écartant des modèles américains, contrairement à ses précédents films (notamment Fragile et Darkness tournés en Anglais), Jaume Balagueró s’inscrit dans une tradition du cinéma espagnol à la fois subversive et ironique. L’épilogue, d’une violence morale inouïe, est un grand moment de cinéma déviant. Je ne peux vous en dire davantage mais on ne verrait jamais un tel degré de cynisme dans un film d’épouvante standard.
(Esp-2011) de Jaume Balagueró Luis Tosar, Marta Etura, Alberto San Juan
Wild side (blu-ray et dvd). Format : 16/9 2.35. Audio : Français, Espagnol 5.1. Sous titres : Français.
Bonus : Making off, interview de Jaume Balaguerro, scène coupées, bandes-annonces
Bon petit thriller, dérangeant par moments. Dommage quand même, ç’aurait pu aller beaucoup plus loin. Les motivations du personnage manquent un peu de crédibilité aussi…