Karen, une jolie fille candide, est amoureuse d’un photographe de charme qui lui a promis de l’épouser une fois qu’il aurait divorcé avec sa femme. Mais, confronté à des difficultés financières, il accepte de tourner une commande, un film pour adultes produit par l’énigmatique Otto, personnage fantasque et dérangeant qui collectionne les décès violents dans son entourage.
Après une série de courts métrages remarqués, Brian De Palma signe son premier long métrage avec Murder a la mod, une œuvre hybride et passionnante à la lisière de l’essai expérimental. Le futur géniteur des indispensables Phantom of the paradise et Scarface, embarque le spectateur dans un maelström d’images foisonnantes, d’audaces graphiques, de références pointues, de pirouettes scénaristiques avec une absence de complexe qui force souvent l’admiration. Toutes les obsessions et thèmes majeures de De Palma sont éjectés à l’écran à l’état brut avec entre autres : le goût pour la manipulation, le voyeurisme, la trahison, la critique de la société de consommation et la satire politique. En 1967, Brian De Palma n’a pas encore trouvé sa voix. Entre la nouvelle vague, le cinéma d’auteur européen et le thriller hitchcockien, son cœur balance.
Après un générique chanté par l’excellent William Finley sur fond de photographies, Murder a la mod débute par une série de séances photos de charmes prises en contreplongée. Dès ses premières images, De Palma se lâche, se moque du bon goût et en cinéaste débutant n’a cure de ce qu’il faut montrer ou pas. Instable, épuisant et parfois indigeste, ce pastiche de thriller n’en demeure pas moins passionnant ne serait-ce que pour sa réflexion pertinente sur la nature même d’une mise en scène. A la manière de Godard, De Palma prend un malin plaisir à nous dire comment ça marche, où sont les trucs et les ficelles. Un peu arrogant mais toujours ludique. Mais à la différence de certains de ses confrères se noyant dans un cinéma intello new yorkais artificiel, on sent chez De Palma un plaisir de filmer une histoire scindée en deux parties, fourmillant d’idées narratives et visuelles.
La première partie rappelle Le voyeur de Michael Powell. Elle se concentre sur la relation entre l’apprenti cinéaste manipulateur et sa petite amie. Il prétexte un besoin d’argent pour la déshabiller mais on sent poindre chez ce personnage un rapport pathologique et obsessionnel à l’image, un goût prononcé du voyeurisme (il aime filmer sa copine mais ne l’a encore jamais touchée). Il évoque par ailleurs toute une flopée de personnages que l’on verra ultérieurement dans Body Double, Blow out, ou Femme fatale.
La deuxième partie s’inspire ouvertement de la construction de Rashomon d’Akira Kurosawa. La même histoire nous est racontée du point de vue des 3 personnages : Otto l’espère de pitre farfelu du film, le jeune cinéaste, et l’amie de Karen. L’une des réflexions centrales du cinéma de De Palma est formulée à l’état de brouillon. L’absence d’informations (le manque d’images) conduit à une mauvaise interprétation de la réalité. Chaque personnage est trompé par les apparences. Seul le spectateur possède les éléments en mains, soit les 3 points de vue qui permettent de reconstituer le puzzle. Donc la vérité. Cette longue séquence, virtuose et ludique, est une pure leçon de mise en scène. Tout le dispositif mis en place avec la valise dans le cimetière permet au jeune cinéaste d’expérimenter des angles de prises de vues insolites, un découpage filmique moderne et de savants travellings latéraux.
Murder a la mod est certes imparfait (l’interprétation est inégale, la plupart des gags tombent à plat) mais reste une proposition de cinéma stimulante qui contient à l’état de gestation tout ce qui, plus tard, éclatera dans les films majeurs de l’auteur de Carrie. A signaler enfin une scène de meurtre au rasoir, violente et esthétique, qui préfigure celle, inégalée, de l’ascenseur dans Pulsions.
(USA-1967) de Brian De Palma avec Margo Norton, Andra Akers, Jared Martin, William Finley, Jennifer Salt
Editeur : Le chat qui fume. Format : 1.33. Durée : 82 mn. Audio : Anglais. Sous-titres : français.