Harold’s going stiff de Keith Wright
Belle petite réussite, menue, mais respectable, que ce Harold’s going stiff. Totalement désargenté, le film tire paradoxalement bénéfice de son énorme économie de moyens. Bien équilibré entre documenteur et fiction, le film s’attarde sur le « Patient O » d’une nouvelle maladie, « la rigueur agressive », que les médias font vite rapprocher du phénomène culturel du zombie.
Dans un schéma relativement proche du livre Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes est développée la déchéance touchante d’un vieil homme banal et solitaire qui se sait inéluctablement condamné à l’issue d’une douloureuse dégénérescence. Ses derniers instants de bonheur seront partagés avec une infirmière volontaire alors qu’un trio de miliciens se met à démolir à coups de batte de base-ball tous les infectés qui errent dans la campagne.
Sur ce thème simple, le réalisateur tire à boulets rouges sur la manière parfois honteuse qu’a la société de traiter les personnes âgées et les malades et épingle les réactions irrationnelles que manifestent les « brave gens » envers un phénomène inconnu.
Entre l’humour anglais, voir la farce dans certaines scènes, et le drame social intimiste, Harold’s going stiff est un bel exercice (peu d’acteurs, peu de décors), tourné à une vitesse record de neuf jours. Encore une preuve qu’il est toujours possible de traiter d’un sujet rebattu et de l’envisager encore avec un point de vue assez frais, qu’importent les contraintes financières.
Kill List de Ben Wheatley
Quelques spoilers à venir.
Kill List est un film qui désarçonne et c’est l’une de ses plus brillantes qualités. Encore une fois, le cinéma anglais nous démontre que le mélange des genres et les ruptures de ton lui sont incroyablement aisés à manipuler.
En apparence, l’histoire narre en préambule le vague à l’âme d’un travailleur lambda condamné au chômage depuis huit mois, qui multiplie les disputes de couple avec moult détails réalistes sur le quotidien. Cependant, par petites couches, la transgression filtre et commence déjà à contaminer le film. Le meilleur ami lui propose un job couru d’avance pour sortir de cette mauvaise passe : tuer trois hommes.
Dans ses deux premiers tiers, le film s’accroche à une vision naturaliste et glaçante des tueurs à gages, dans leurs relations amicales, professionnelles, familiales et amoureuses. Des apartés surgissent (la scène du restaurant est à un stade tel qu’elle peut déraper vers la violence, alors qu’elle débouchera sur de cinglantes répliques). Point notable, mis à à par l’enfant, le seul être innocent de ce microcosme, tous les personnages, sont antipathiques, voire odieux, et le « héros » lorgne au bout d’un moment vers la brute psychopathe. Par ailleurs, même sa femme lui reproche en permanence de ne pas reprendre son métier, bien qu’elle soit parfaitement consciente de sa profession. Dans le monde des contrats, les valeurs sont toutes autres…
La vie des ces hommes de la classe ouvrière du meurtre, terne et pointilleuse (l’urbanité anglaise est définitivement toujours aussi déprimante à l’écran), va salement déraper quand ils découvrent que leurs victimes participent à un trafic de snuff movies. Se dessine de plus en plus le film d’horreur pur et dur avec une secte proche de celle de The Wicker Man, friande de sacrifices humains à la belle étoile dans une scène païenne saisissante.
La cassure est fort abrupte tant le film dans son dernier tiers ne répond à aucune question (Que signifie le signe ? Pourquoi tout ce complot ? ) et twiste quelque peu pour l’amour de la chute finale. Cela dit, même si l’incompréhension est de mise, le film reste impressionnant (également à cause de ces blancs dans la trame ?) tant il est chargé de fébrilité, entre moments volés à l’intimité des assassins qui peuvent déraper à maintes reprises et explosion d’ultra-violence sèche, la dernière partie abat quant à elle, un pur moment de peur palpable dans l’obscurité d’un souterrain.
Par sa qualité stylistique (il y a un beau travail sur le son), son scénario atypique, imprévisible et dans son approche sans aucun fard d’un des plus vieux métiers du monde, Kill List est, sans en douter une seconde, une pierre conséquente dans la carrière d’un réalisateur qui saura faire parler de lui dans les années à venir.
Tucker and Dale Vs. Evil de Eli Craig
La comédie potache du festival, à point nommé pour la clôture après quelques films plutôt anxiogènes (Red State et The Woman par exemple). Sans atteindre les cimes du genre gore-burlesque, cette comédie astucieuse inverse les convenances du survival en utilisant le slapstick pour illustrer l’affrontement à mort de deux braves péquenots forts sympathiques et d’une bande de jeunes caricaturaux à l’excès.
À la fois irrévérencieux et respectueux des codes (le boogeyman iconique du genre fait une apparition imprévue à mi-chemin), le métrage a provoqué une belle salve continue de rires dans la salle. Les hommages fusent (Massacre à la tronçonneuse et Vendredi 13 en tête), les gags naïfs font souvent mouche pour peu que l’on soit amateur de ce style d’humour, et l’abattage des deux acteurs incarnant Tucker et Dale (Alan Tudyk et Tyler Labin) est des plus savoureux.
Red State de Kevin Smith
Trois adolescents « chauds lapins » se font kidnapper par des fous de Dieu et sont retenus dans une petite église, la Five Point Church. Les autorités vont gérer la situation de crise par la manière forte. Dans un enchainement inexorable, tout ceci finira dans un absurde bain de sang.
Dans Dogma, l’ange déchu Loki rétablissait les préceptes de l’Ancien Testament à coup de pistolet Desert Eagle. Son pendant, le pasteur illuminé de Red State, applique aussi le châtiment divin à la lettre à coup d’armes à feu. Homme profondément croyant, Kevin Smith sort de son univers habituel pour livrer une charge d’une grande dureté. C’est d’évidence un film très personnel, très libre grâce à son budget de quatre millions de dollars.
Après la parenthèse discutable Top Cops, Red State est, indubitablement, un « film de colère » qui renvoie dos à dos, sans rédemption aucune, deux maux enracinés aux États-Unis : la violence gouvernementale et celle d’un certain fondamentalisme religieux qui s’affirme dans les petites villes des Red States (un état rouge définissant un état républicain et un état bleu, un état démocrate). Un fondamentalisme aveuglé par la haine de toute forme de sexualité hors de leurs normes. Des documentaires effarants ont fleuris, comme Jesus Camp, pour montrer à quel point ces groupuscules isolés ne tiennent pas de la fiction. Si le film commence comme un film d’horreur habituel avec victimes promises à un sort funeste dans les mains de rednecks, le scénario bifurque sur le film de siège, tenaillé par le spectre de la secte de Waco.
Les points forts et les points faibles sont, malgré les changements, typiques de son réalisateur. Les acteurs, en premier lieu, Michael Parks et John Goodman, sont prodigieux, les dialogues souvent très percutants. Si la réalisation de Smith s’est développée, ce qui était son point faible central, l’intérêt se porte plus précisément sur ces dialogues et les personnages. Cependant, si Smith a la volonté louable de faire évoluer son style filmique, son problème principal reste que son scénario a une forte tendance à surligner ce que l’on sait déjà et plusieurs situations semblent forcées voir mécaniques. Si impasse est faite de ces défauts, les moments de tension sont légions et le final extrêmement amer.
À ce stade, Smith peut revenir à l' »Askewniverse » (l’univers farfelu des célèbres héros du quotidien Jay et Silent Bob) ou évoluer entièrement vers une forme encore plus dure de son cinéma. Attendons de voir la suite.
Livide de Alexandre Bustilo & Julien Maury
Le tandem Alexandre Bustilo et Julien Maury était attendu au tournant pour le second film, après le très gore À l’intérieur, un long-métrage imparfait, mais très apprécié chez les Anglo-saxons. De leur expérience américaine, ils semblent avoir tiré une certaines maturité. Après s’être fait griller la politesse par les studios pour la nouvelle version d’Halloween 2, qui fut au bout du compte réalisée par Rob Zombie (pour un résultat final qu’ils ont déclaré adorer, donc, sans rancune, comme on dit…), ils en reviennent à certaines sources du fantastique… De façon inattendue, en parcourant des territoires à la fois extrêmement classiques et d’autres plus modernes, tout en dégageant au milieu de cela, leur style, leur identité.
Les forces et les faiblesses du film semblent caractéristiques des réalisateurs français. Car il ne faut pas s’y tromper, malgré le logo « Dimension Films », les images sont gorgées d’un sang on ne peut plus hexagonal.
D’un côté, Livide (le double-sens du terme entre celui des français « Livide » et celui des anglais « Livid », est assez recherché) affiche un travail plastique rigoureux, une certaine générosité revendiquée, un amour criant du « genre », les références constantes à des pans entiers du cinéma fantastique (film de fantômes espagnols, la Hammer, les italiens de bava à Argento), une volonté de s’inscrire dans un univers de légendes séculaires, fut-elles construites sur les fondations de celles préexistantes.
De l’autre côté, cette même générosité provoque quelques errements narratifs. Comme ils le disent eux-mêmes, « chaque film peut être le dernier ». Ainsi, à cause de leur tempérament et de leur amour de la scène « qui frappe », le film s’éloigne du mythe vampirique stricto sensu pour aller sur le terrain de la maison hantée, des fantômes et de la sorcellerie. C’est beaucoup… C’est même un peu trop, alors que le mythe du vampire pouvait à lui seul soutenir tout le récit.
Le premier acte développé est excellent. Les personnages sont caractérisés à la perfection, les enjeux sont clairs et crédibles. Un brin decrescendo qualitativement, le deuxième vire quelque peu au « film de couloirs » (en plutôt réussi) et le troisième a laissé quelques festivaliers sur le carreau, puisque les réalisateurs / scénaristes ont opté pour un mélange surprenant entre une épouvante frontale (c’est le grand retour de la paire de ciseaux) voire extravertie (un plan est à la limite du burlesque assumé ; disons-le tout net, ceux qui ne seront guère enchantés vont trouver cette extravagance aussi décalée que le final de Mirrors par Aja), la référence sollicitée à foison (de Silent Hill à Suspiria) et une approche poétique traditionaliste française dédaignant l’explicatif, presque pure et naïve, de Jean Cocteau à Georges Franju (l’expressionnisme de Judex), qui laisse la part belle à l’interprétation toute personnelle du spectateur.
Le pari du duo est risqué et il est envisageable qu’une partie des amateurs de fantastique n’adhère pas à cette approche. De plus, le nombre de salles diffusant le film sera fixé par la restriction qui sera adjugée : Soit de moins de seize ans, soit de moins de douze ans. Cette simple décision peut déterminer si ce long-métrage sera projeté sur un poignée de toiles ou bien sur plus d’une centaine. Son avenir est incertain puisque ses parti-pris et la restriction ne permettent pas de prévoir s’il va, en définitive, trouver son public hexagonal. La poésie noire de Livide va-t-elle conquérir les français ? La réponse en décembre.
The Woman de Lucky McKee
Grand Prix prévisible du festival, The Woman, fort d’une réputation de controverse (« Misogyne ! », « Dégradant ! »), se fait un malin plaisir à désosser la cellule familiale américaine contemporaine. À pleines dents ; jusqu’à en érailler leur émail. Pour ainsi dire, il a, même si la formule est devenue galvaudée à faire fuir, tout d’un film qui semble surgir des années soixante-dix. Il semble provenir, du moins dans ses thèmes et sa rancœur, de ce creuset et aurait pu sortir sans dépareiller dans un « triple-programme », à côté de Day of Woman (1978) et autre La dernière maison sur la gauche (1971).
Un lieu commun est de s’étonner combien les réalisateurs qui officient dans les extrêmes cinématographiques sont humainement dans la vie à cent lieues de leurs créations. Pourtant c’est inévitable de le signaler ici pour McKee tant l’écart est grand entre ce cinéaste croisé au festival, un grand garçon timide, posé et souriant, et son film bourré d’une fureur à la fois intériorisée et extériorisée. Sur une histoire de Jack Ketchum (Une fille comme les autres, Morte saison), The Woman discourt sur la barbarie inhérente au genre humain. Le bon sauvage de Rousseau ? Idiotie. La civilisation ? Hypocrisie.
L’enfer, c’est vraiment les autres, chez McKee. La bestialité du « civilisé » le dispute à la bestialité de l’être sauvage. Et les deux se valent largement. Loin d’être un « Torture Porn » comme on en a subi par monceaux, le récit dérange par la conscience aiguë du mal qu’il démontre. Le bourreau à l’origine de tout est un avocat propre sur lui, bon père de famille, vitrine léchée en somme d’un monde que l’on nous présente idéal, qui propage la corruption de son entourage. Derrière le costume bien propre, le Pater Familias est un monstre incarnant la phallocratie la plus vile dans toute son abjection, écrasant « ses » femmes et modelant son enfant mâle pour poursuivre sa philosophie détraquée. De toute évidence, le ver (la folie du père) était dans le fruit (la famille) depuis l’origine et la sauvageonne sera le détonateur d’une explosion finale qui ne demandait qu’à se produire.
Seulement voilà, hors de son aspect dérangeant et dans ses chemins de traverse parfois inattendus, comme son humour noir et une certaine habileté dans le grotesque au sens non péjoratif, The Woman peut décevoir par sa bande originale très typée « Sundance » (les habitués comprendront) qui fait parfois sortir de son ambiance et par la prévisibilité de son récit. The Woman n’est certainement pas un mauvais film, ni une expérience traumatisante, mais pour maintes raisons, il est possible de passer à côté vu les nombreux films qui ont exploité de façon plus ou moins proche ses thèmes de fond.
Quant à l’accusation de misogynie, les détracteurs n’ont pas du comprendre les efforts précédents dans le cinéma de ce réalisateur (le troublant May et son The Woods, dénaturé, mais dont les restes sont magnifiques) et ont du découvrir celui-ci avec des œillères pour annoncer un verdict pareil tant le film est un cri de révolte contre toutes les formes de violence exercées sur les femmes, quelles qu’elles soient.