Œuvre méconnue et injustement oubliée des amateurs de fantastiques, Messiah of evil est une véritable claque, un OFNI singulier jouxtant le pur cinéma de genre et le trip « arty ».
Derrière cette étrange plongée en enfer se cache Willard Huick, oui vous avez bien entendu, celui qui a commis l’aberrant Howard The Duck et surtout le très sinistre Une défense canon avec les insupportables Eddy Murphy et Dudley Moore. Comment est-ce possible qu’un tel talent ait gâché de façon aussi magistral tout son potentiel. Mystère !
Messiah of evil plonge d’emblée le spectateur dans une ambiance trouble et insolite. Un homme essoufflé poursuivi semble-t-il par une menace hors champ arrive près d’une jeune femme innocente. Celle-ci s’empare d’un couteau et lacère le corps du pauvre homme à plusieurs reprises. Changement de cadre. L’héroïne déambule dans un couloir aux couleurs froides. Un monologue intérieur nous invite à comprendre comment elle en est arrivée là.
Retour à la case départ. Arletty (est-ce un hommage à l’actrice française ?), débarque à la ville de Dune pour retrouver son père, un artiste peintre qui semble avoir disparu dans d’étranges circonstances. Sur place, elle découvre une ville fantôme, en partie désertée par sa population. Plus inquiétant : une épidémie semble avoir transformé les autochtones en cannibales avides de chair humaine. Les monologues, brisant l’espace-temps, créent un jeu étrange du chat et de la souris entre le père et la fille. Poétique et morbide, cet objet inclassable fascine et irrite par son rythme lancinant, ses références obscures, ses ambitions plastiques démesurées et ses audaces graphiques de tous les instants (sublime scène quand Arletty descend les escaliers avec la peinture tout en perspective en arrière plan).
Le film de Willard Huyck, écrit en collaboration avec sa compagne Gloria Katz, frappe par sa démesure formelle. Loin des séries B fauchées et malsaines typiques des seventies (La dernière maison sur la gauche, I drink your blood), Messiah of evil n’hésite pas à placer la barre très haute d’un point de vue formel. Le magnifique scope (en fait il s’agit d’un procédé bâtard) met en exergue la qualité exceptionnelle des images et des cadrages. Willard Huyck exploite à fond son décor tout en trompe l’oeil et chausses trappes. Toutes les séquences filmées dans la maison du peintre sont magistrales. Les personnages se confondent avec les silhouettes peintes sur les murs pour composer des plans sophistiqués d’une invention rappelant étrangement le travail qu’allait opérer Dario Argento sur Les frissons de l’angoisse et Suspiria. Bourré de références à la nouvelle vague (Le mépris de Godard), à Blow up, au Pop Art et à la peinture très cinématographique d’Edward Hopper, le film de Willard Huyck se vit comme une expérience singulière et hypnotisante. Le scénario, minimaliste mais efficace, distille ses indices au compte goutte tant et si bien qu’à la moitié du film nous n’en savons guère plus. Le plus frappant reste cette manière de filmer une rue désertée, d’instaurer un climat asphyxiant en deux plans. Huyck rend un hommage fabuleux aux Oiseaux d’Hitchcock dans une séquence anthologique et réellement tétanisante. Les néo-zombies remplissent au fur et à mesure une salle de cinéma encerclant la pauvre spectatrice de plus en plus inquiète.
Si la fin déçoit un peu, avec sa volonté d’expliquer ce qui mérite parfois de rester dans l’ombre, cette relecture « intello » du film de zombies fascine de bout en bout, impressionne par la maîtrise technique dont font preuve les auteurs qui, même s’ils se réfèrent ouvertement au cinéma d’auteur le plus exigeant, composent des images baroques que ne renierait pas Mario Bava. Le rouge et le bleu sont les couleurs maîtresses qui habitent ce film singulier et anxiogène, une œuvre séminale et avant gardiste dans la lignée du mythique Carnival of soul.
John Carpenter, Dario Argento et David Lynch, pour ne citer qu’eux, semblent vraiment s’être inspirés de cette première œuvre arrogante et remarquable, tournée avec un budget de misère dans des conditions extrêmement précaires (une semaine de tournage).
Un diamant noir à découvrir d’urgence.
DVD Artus
DVD 9 – PAL – Zone 2 – Format : 2.35 cinémascope original respecté – 16/9ème compatible 4/3 – Durée : 89 min – Langues : anglais – Sous-titres : français – Couleurs
(USA -1973) de Willard Huyck avec Marianna Hill, Michael Greer, Elisha Cook, Joy Bang, Anitra Ford…
Bonus : Bandes-annonces, « Le messie du mal » par Alain Petit, court-métrage « Maximiliani ultima nox »de Thierry Lopez