La Merditude des choses est le portrait quasi-documentaire d’une famille vivant dans un village flamand. Gunther Strobbe, le plus jeune âgé de 13 ans, vit avec sa grand-mère, son père et ses trois oncles. La famille vit dans un climat de beuverie et glande constante. Gunther est toujours en retard à l’école et rentre chaque soir avec une punition à rédiger. En parallèle, le film suit ce même personnage des années plus tard, lorsque Gunther tente de devenir écrivain et se retrouve sur le point d’être papa.
Le film s’inspire à la fois d’un roman écrit par Dimitri Verhulst et d’un épisode de l’intéressante émission Strip-Tease. Armé de ces deux différents supports, Felix van Groeningen filme les Strobbe à travers le regard d’un enfant aimant sa famille, mais aussi soucieux à l’idée de finir comme eux : sans but, constamment dans un état second et donc à demi-mort.
Le réalisateur ne juge pas ses protagonistes, il les observe et nous laisse libre de penser ce qu’on veut. Mais il est un peu à l’image de la famille Strobbe : sans but. Le film est vraiment un épisode de Strip-Tease (avec un peu plus de musique et de trucages) étiré sur 1h45 qui peine à trouver une quelconque réflexion au travers de ce portrait familial. Les images de cette famille utopiste défilent sous nos yeux, on rigole face aux différentes conneries qu’elle raconte, on s’indigne un tant soit peu de leur comportement, puis arrivé au générique on passe à autre chose, comme si rien ne s’était passé.
Dommage, parce que les qualités sont bien présentes : le rythme du film est des plus efficaces, les acteurs sont irréprochables et le réalisateur ne cherche pas à nous endormir avec un quelconque discours social ou politique au milieu de cette « merditude » ; il se concentre uniquement sur cette famille, leurs actes et leurs conséquences au sein d’elle et la vie d’adulte de Gunther. Seulement, le film n’est qu’une constatation creuse d’une situation familiale complexe.
« Typiquement belge…«
Les bonus du dvd sont plutôt généreux, même trop si vous n’avez pas aimé le film : un making of découpé en petits épisodes d’une durée totale de 48 minutes durant lequel le réalisateur fait partager ses impressions du tournage et les quelques défis qu’il a pu rencontrer lors de l’écriture du scénario et de la réalisation du film. Mais le plus attrayant des bonus est ce fameux épisode de Strip-Tease qui a inspiré le film, un épisode réalisé en 1992 suivant la famille belge De Becker qui possède un style de vie proche des personnages que l’on peut observer dans La Merditude des choses.
Si, en BD, l’antienne belge vante en toute occasion la pertinence, tant plastique que narrative, de son école « ligne claire » (Hergé et Jacobs en tête mais comment négliger Ted Benoît ou Floc’h ?), véritable arbre cachant une forêt aux essences pourtant plus variées, les dernières années cinéphiles nous vendent quant à elles exclusivement, et à tout coup (s’il on néglige délibérément les anciennes Van Dormaeleries et les plus récents brûlots Dardenniens), de la « poésie absurde », façon surréalisme wallon (burlesque et mélancolique, truculente et romantique).
Wallonne oui d’ailleurs, plus que flamande, moins immédiatement exportable en francophonie (voir le néerlandophone Stijn Coninx qui, outrage fait à la langue de Tom Boonen et Peter Van Petegem !1, finit par tourner son Soeur Sourire (2009) en français !).
ECRAN: DU PETIT AU GRAND
(ET VICE VERSA)
Sans doute doit-on pouvoir faire seoir la fameuse tendance (voire plus largement l’entier réalisme social à la belge ?) entre deux événements plus télévisuels que proprement cinématographiques que sont Strip-Tease d’un côté du manche et Groland de l’autre. L’émission culte de la RTBF, créée en 1985 par la paire Libon/Lamensch, a irrémédiablement façonné la perception belge et a tôt fait résonner ses manières (et ses sujets) dans le cinéma. C’est Arrivé Près de Chez Vous (1992) de Poelvoorde, Bonzel et Belvaux marque sans doute le 1.0 de cette cinématographisation mais on ne saurait négliger l’oeuvre toute aussi extrême d’un Jan Bucquoy dont La Vie Sexuelle des Belges (1994) et sa suite Camping Cosmos (1996) constitueraient deux autres jalons aussi fondateurs qu’indiscutables.
La façon dont l’émission orienta le regard vers des portraits à la fois hyper-réalistes mais proprement hors norme (les sujets étant souvent des individus « marginaux » ou, à tout le moins, spectaculairement azimutés), souleva le voile sur un pan de population, d’histoires, d’univers et de manières que le cinéma belge exploitera au plus vite. Benoît Mariage, issu d’ailleurs des équipes de Strip-Tease, assoira le « style » avec des titres volontiers emblématiques tel Les Convoyeurs Attendent (1999), tandis que sn acteur principal, Benoît Poelvoorde, iconisera un temps (à l’orée des années 2000) le genre (Les Portes de la Gloire (français pourtant), Le Vélo de Ghislain Lambert2).
Dix ans plus tard les Bouli Lanners (Eldorado), les Olivier Van Hoofstadt (Dikkenek) et quelques autres pérennisent la formule, la tirant, qui vers le comique punkoïde, qui vers l’atmosphérique Kaurismakien.
Et trouvent en France, auprès des canalplusiens citoyens Grolandais (et plus particulièrement la frange cinéphile de ceux-ci: Benoît Délépine et Gustave de Kervern), d’enviables cousins qui, au cours d’une poignée de titres (Aaltra, Avida, Louise Michel, Mammuth3) se sont positivement placés dans une même communauté d’esprit, philosophique et graphique (plus loin, Albert Dupontel cartoonisant à l’extrème certains de ses travaux, propose quant à lui un fonds commun (Enfermés Dehors, 2006) mais une forme et un ton radicalement différents).
CHEZ CES GENS-LÀ MONSIEUR !
Le film de Felix Van Groeningen se rattache bien évidemment, tout flamand qu’il est toutefois, à cette tradition cinéphile bien ancrée depuis une petite vingtaine d’années maintenant. Son propos et ses manières (maniérismes ?) sont ainsi sans équivoque.
Galerie de personnages hauts en couleurs, foisonnant pointilleux de la direction artistique (le design, les costumes, les maquillages et les décors sont si fourmillants qu’ils feraient passer Macha Makeïeff pour la décoratrice de 2001, L’Odyssée de l’Espace !), provocations et outrances (XXL !) régulières sur fond de misère sociale mais au grand coeur (les fameux « gens du nord » d’Enrico !), de marge inouïe mais aux valeurs, quand bien même simplistes, chevillées au corps.
Corps justement, dévoilé, mis à nu dans son peu de grâce,sa mollesse et son courage, son insouciance, sa simplicité naïve… native ?
Nativité justement encore, centrale dans les enjeux: naître, faire naître, difficulté d’être un fils, effroi d’être un père (et cette question: cesse-t-on d’être l’un lorsqu’on devient l’autre ?).
Un esprit d’escalier livré ici en échantillon mais qui règne dans l’architecture du film (foutraque au premier abord, puisque construit sur la réminiscence désordonnée de souvenirs). Celui-ci offrant donc un portrait de famille improbable, de fratrie de vieux garçons soûlards et soudés, irresponsables, puérils et impulsifs, violents et généreux. Il est le fruit conjoint, cet esprit d’escalier, d’une double temporalité (Gunther enfant à pulls hideux subissant et Gunther devenu écrivain se remémorant) et du caractère des protagonistes, impulsifs débrouillards, inventifs losers (magnifiques) se jetant à la seconde et à corps perdu dans les idées les plus saugrenues et les moins sobres (course cycliste nue, concours du plus grand buveur de bière, Tour de France3 de la Biture,…) et réagissant presque toujours de manière inconsidérée, inappropriée, la moins civilisée possible.
Cependant, malgré la teneur en houblon et en pathétique de l’aréopage (seule la mère, madone en blouse bleue semble auréoler au-dessus du lot), le titre ne tourne jamais à « la visite au zoo » (un grief parfois avancé en revanche contre Strip-Tease !). Vite nimbé d’un romantique buckowskien, rapidement chargé en empathie, le film tourne au bénéfice de cette brochette incongrue et braillarde, qui finit par s’avérer, par le plus scandaleux des miracles, sympathique – peut-être pas jusque dans ses pires instants (Cel endormi dans son vomi, André faisant la démonstration de sa poche intestinale), mais pas loin.
AFFREUX, SALES… MAIS PAS MÉCHANTS
L’énorme talent et l’investissement des comédiens ne sont évidemment pas étranger à cet état de fait, pas plus que la détermination et l’acuité de Van Groeningen. Tout en adaptant le roman autobiographique de Dimitri Vehulst (qu’il vénère et dont on attend, en France, la traduction !), il ne manque ainsi pas de l’emmener, sans jamais le trahir, vers ses propres préoccupations.
Autant attaché à proposer un portrait d’enfant dans un lieu où l’enfance n’a plus cours (comme dans le Somers Town de Shane Meadows, cousin d’outre-Manche) qu’à radiographier avec compassion une région dévitalisée de tout (il n’y a pas de vrai contrepoint à la fange familiale: même les pouvoirs publics (proviseur, assistante sociale) ou la soeur « qui a réussi ailleurs » semblent être taillés dans le même marasme social), quasi-freaksienne (les tenancières naines sont là pour nous le suggérer !), le réalisateur se refuse à condamner ses personnages malgré l’évident cul-de-sac dans lequel ils végètent, cette merditude donc qui les maintient au fond de la cuvette et qu’on retrouve dans ces toilettes familiales sans porte, ces latrines de collège refoulant leur contenu, cette poisse qui les suit, les colle, les précède même. Malgré le peu de respiration permise dans ces conditions, il s’oppose toutefois à une prédestination médiocre à un fatalisme de caniveau, et hisse même la famille au mythique: Gunther s’en sortira, rose sur le fumier ?, sans se renier ni juger jamais les siens (il leur devra un peu de son succès… plus qu’au come back de Roy Orbisson !).
Culte à bien des égards, flirtant sans cesse avec la ligne jaune de la complaisance (mais demeurant à notre sens du bon côté), La Merditude des Choses est une bonne nouvelle et l’occasion d’un espoir fondé: à quand des distributeurs français décidés à acheter les productions flamandes ?