South Central, années 90. Au lieu de s’encarter chez les Bloods ou les Creeps et mourir à vingt ans, Tommy choisit de se faire clown pour animer les aprèmes d’annifs des gamins du quartier. Devenu le premier bozo danseur de hip-hop, Tom fait école. Il entraîne dans son sillage des dizaines, puis des centaines de gamins de rue. La danse comme alternative aux gangs : c’est là que naît le clown dancing. Quelques années plus tard, dosé au stripper dance, raboté par des conditions de vie merdiques, infusé de pure violence, le style maquillé-déguisé accouche du krump. La forme la plus viscérale, puissante et incontrôlée du hip-hop. RIZE raconte cette petite histoire de l’art ultra-contemporain, avec les principaux acteurs du mouvement dans leurs propres rôle.
David Lachapelle est un photographe de mode très à la mode. Réalisé en 2005, vainqueur de nombreux prix (Sundance entre autres), son reportage est ce qui peut se faire de plus hype dans l’underground-paillette. Et, autant l’avouer tout de suite, c’est plutôt très mauvais. Rythmé comme un sujet MTV tiré à la ligne, dramatisé à l’arrache, complaisant comme un bonus de blockbuster, sa forme n’a vraiment rien de ragoûtant.
Certes, les performances dansées sont épatantes. Tous ces gosses de rue, depuis les nains en couche-culottes jusqu’aux vétérans peinturlurés et souvent multirécidivistes, sont sidérants de talent, de rage, de compétence.
Leurs réunions filmées, sous formes de rondes ou d’affrontements symboliques, sont des espèces de festivals de corps en action. Je n’avais pas vu de scènes aussi puissamment physiques depuis un bail – depuis « Beau travail » de Claire Denis, en fait. Mais ces morceaux de choix ne représentent que la portion congrue du film, qui essaie plus souvent qu’à son tour de théoriser un phénomène assez évident.
Et là le bât blesse carrément. En appuyant un parallèle maladroit avec les transes de cultes africains, Lachapelle s’improvise anthropologue de ghetto, tout comme il se fait historien en nous rappelant Watts, Martin Luther King, les émeutes de 92… C’est au mieux très bête, au pire sournoisement raciste, offrant une jolie conclusion aussi clichée qu’abrutie sur l’habituel mode « les blancs ne savent pas danser – ou bien ? ».
Le krump a, évidemment, bavé dans le mainstream depuis sa création. Des clips de Missy Elliott à ceux des Chemical Brothers, il est entré dans la plupart des moeurs, s’est assagi et normalisé. Variante au break et au hip-hop, il ne fait guère de doute qu’il restera dans les parages encore un moment et que vous aurez d’autres occasions que la médiocre présentation de Lachapelle pour découvrir ce style.
Wah l’autre, comme il crache trop son venin.
C’est spur que Lachapelle n’est pas très fin dans sa mise en scène, ni très inspiré. Il analyse un peu trop rapidement un phénomène très étrange.
Cela dit, j’aimerais savoir pourquoi le parallèle avec les transes tribales est maladroit.
Reste que le film m’a branché juste parce qu’il m’a fait découvrir ces danses absolument incroyables, que je ne connaissais pas du tout.
C’est plus le parrallèle krump / rites africains (transe, peintures corporelles, etc.) C’est stupide. Ce n’est pas parce que ces jeunes gens ont la peau noire qu’il y a le moindre rapport entre ceci et celà (commentaire de Lachappelle, de mémoire « ils ont ça enfoui à l’intérieur d’eux »).
Mouais mais pourquoi pas, en fait ?
Selon ton origine, tu as quand même des caractéristiques physiques et donc peut-être aussi intellectuelles ou culturelles.
Sans pour autant parler de « race ».
En l’occurrence, il n’y a quasiment que des noirs qui dansent le krump et il n’y a quasiment que des noirs quand il faut courir le 100 mètres. C’est un constat.
Lachappelle explique cela comme ça. Sinon quelle explication donnes-tu ?
Mais non. Il n’y a pas que les noirs qui dansent le krump, il y a des blancs, des jaunes, des verts… Et ils dansent, sinon pareil, du moins aussi bien. Que le documentaire se pose la question de savoir comment c’est seulement possible (à la fin), là ça pose un problème.
Les inventeurs du krump sont des états-uniens du ghetto. Voilà pour leur origine, pour leur culture. Et c’est de là que vient le krump, d’un melting pot très compliqué, avec de très lointaines et très digérées influences de l’esclavage. Pas d’un quelconque fantasme d’une Afrique Eternelle qui parlerait au travers de ses Fils et de l’Histoire. Moi j’ai des gènes de polak, je n’ai aucune compétence innée en plomberie !
(Et on parle de danse, ici, d’expression artistique. Pas de mesure biométrique façon sport d’ultra-haut niveau, où les caractéristiques physiques commencent à revêtir une vraie importance.)
Que ce genre de fantasmes soit alimenté par certaines minorités noires opprimées pour se créer une appartenance, je trouve ça déjà limite. Mais quand ces mêmes discours sont tenus par des gens extérieurs – blancs, riches et qui vont se faire du beurre sur le dos de leur sujet d’étude – ça en devient franchement embarassant.
J’ai pas vérifié mais je suppose que Lachapelle est blanc ?
Oui, Davide Lachapelle est blanc… et alors?
Je pense que le parallèle entre le Krump et les danses tribales africaines, et les transes rituelles est une image qui est venue « naturellement » à Lachapelle en observant, du point de vu sociologique, comme il le fait dans ses photo un phénomène de groupe.
Le parallèle est peut être un peu trop directe et brutale mais on ne peut pas nier que le kurmp soit une danse de combat, de pulsion voir de perte de contrôle du corps.
A la différence qu’il n’y a pas de sacré derrière, l’expression des corps et l’énergie qui en émane peut, il me semble, être mis en rapport avec le Krump. Les sensations, la disposition du public, les mouvements, etc ressemblent aux danses tribales(d’Afrique et d’autres pays peut être).
Je pense qu’il ne s’agit pas ici de remettre sur le tapis des idées sur ce que les blanc ou les noirs disent les uns des autres, mais plutôt de se focaliser sur la danse et de chercher à comprendre ce qu’elle exprime.
Pourquoi nier que ces images nous ont fait penser à des danses rituelles?
Je ne cherche pas à défendre à tout prix l’auteur du film, j’exprime juste ce qui m’est venu intuitivement en voyant le film. Peut être suis-je une petite blanche étroite d’esprit?