Double programme de mockumentaires pour rouvrir ses paupières et attaquer le jour le plus long. En tout preums,
CAPUCINE, de Luis Nieto
L’an dernier à la même date je voyais OEDIPE dont je disais ceci : "bêtise visuelle concoctée par un chimpanzé et huit cent techniciens nippons. La rencontre de Donkey Kong, Goldorak, Kubrick et Jacques Lacan. Dans l’espace. Incompréhensible et bluffant." CAPUCINE, ainsi, n’est rien moins que le making off de cette minute et demie d’hallucinade psychédélique.
Ca commence en reportage animalier sur les capucins, primates top malins, et leur utilisation pour aider les tétraplégiques. On visite la volerie des singes de Kintzheim, convoque Schroeder pour révoquer KOKO, puis entre dans l’intimité de Capucine, femelle captivée d’images, que des savants nippons finissent par exfiltrer d’Alsace. L’idée des blouses blanches est de faire réaliser un film à la guenon. Le titre : OEDIPE. Passons sur les luttes dans l’équipe, les caprices de l’artiste, les aléas du tournage… Ce reportage en coulisse se clôt sur la première du court dans un festival clermontois, où les spectateurs, épatés ou blasés, témoignent de leurs impressions face à cette nouvelle page de l’histoire de l’art. La boucle se boucle.
J’avoue être sorti étrangement agacé (pas désagréable) et un peu grincheux de m’être laissé piéger. Car, bien sûr, j’aurais aimé continuer à croire qu’un singe, d’une façon ou d’une autre, avait pu produire la purée psychotique d’OEDIPE. Mais non seulement CAPUCINE piétine ce songe sans paraître y toucher (contrairement à d’autres mockumentary, le fake n’est pas poussé au grotesque et refuse la complicité du spectateur), mais le récit qu’il met en place autour de la création d’OEDIPE (un ex-propriétaire tétraplégique, une boulimie cinéphile, une passion pour Mario) rend-il son propos transparent, métaphorique, signifiant. Au lieu de décupler la magie d’OEDIPE, CAPUCINE en montre et en agite les grosses ficelles. Le désenchantement du réel comme programme : pas mal pour un documenteur.
Et en matière de docu et d’intox bluffante (admirez la transition), un des maîtres est certainement le français Jean-Teddy Philippe, qui créa à la fin des années 80 les fameux
DOCUMENTS INTERDITS
Six de ces quatorze courts métrages étaient projetés d’affilée. Une reporter disparaît en direct dans maison hantée, des soviétiques filment les camps secrets de Sibérie, un naufragé enregistre sa survie en mer pendant deux mois sans manger, on exhume des super-8 crachotants révélant un meurtre abominable… Récits noirs ou fantastiques, souvent poétiques et très minutieusement construits, sous la forme la plus réaliste possible.
Nés d’un parti pris formel original mais devenu plus qu’à la mode depuis une décennie (de BLAIRWITCH à REC en passant par un tas d’autres horreurs), ces DOCUMENTS INTERDITS ont d’abord été diffusés sans habillage sur FR3. Ils ont plus tard été présentés en série sur Arte, suivi d’un carton "Tout ce que vous venez de voir est faux", et je me souviens précisément du choc bizarre ressenti ce soir là, il y a facile quinze ans. Un peu ce qu’ont du vivre les auditeurs de la pièce radio de La Guerre des Mondes : ça passe dans un grand média, ça a l’air vrai, mais c’est impossible. Alors quoi ?
Jean Teddy Philippe était dans la salle pour échanger brièvement. Pionnier sans le vouloir d’un genre qui a explosé avec Internet et le film permanent (ses DOCUMENTS ont le format YouTube avec vingt ans d’avance), il souligne les différences importantes entre ses fictions et les faux délibérés : un désir premier de conter une fiction, la distance temporelle de ses récits, l’absence de référents géographiques. Et de citer comme sources d’inspis des auteurs aussi loin des complotistes que Mircea Eliade, Carlos Castaneda ou Ernst Jünger.
Je vais prendre les coordonnées du Monsieur et, s’il accepte, lui poserai quelques questions pour Cinétrange. A noter que son dernier téléfilm passera sur Arte en décembre, de la SF bizarre semble-t-il : ça peut valoir le jus.
Un court pour lier le tout (encore un petit ferrero ?) ni docu, ni pipoté. CUDDLE STICKS de Mike Geiger, courte vanne animée flash façon Tartakovky. S’il y a des enfants et des sucettes, c’est plutôt pour les grandes personnes, et pas en sortant de table.
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VILLEMOLLE 81 de Vincent Winschluss Paronnaud
Créateur de la revue conserve-et-mauvais-goût Ferraille et co-réalisateur de PERSEPOLIS avec Satrapi, Monsieur W. est le récent papa d’un gros Pinocchio primé à ‘Goulème, réécriture graphique & irrévérencieuse (comme on dit aux Inrocks) du bouquin de Collodi. Un garçon dans le vent, comme qui dirait, à la croisée de la Haute Culture en polo et de l’underground à tifs gras.
Deux de ses courts en animation, pour ouvrir (O’ BOY WHAT NICE LEGS ! avec Cizo, et RAGING BLUES) montrent l’étendue du talent : diversité d’influence graphiques très modes (le cinéma muet, Popeye, la signalisation routière), un gros talent de communication visuelle, et des récits chatouillant le transgressif. Pas vraiment le transgressif inquiétant façon Arrabal, ni le transgressif second degré ambiance coquetelle haha, non, quelque chose d’au milieu, une fois encore, qui agite sans trop shaker, ou l’inverse si vous me suivez.
Pour VILLEMOLLE 81, c’est un peu la même chose, sauf avec des acteurs.
Une première moitié du long parodie Jean-Pierre Pernaud, les mass médias crapoteux, la pathétique France profonde, les débiles du terroir en galerie. De bonnes trognes d’actu, d’ailleurs, de l’artiste féministe de choc à l’épouse russe achetée sur internet en passant par l’intello de gauche retourné à la terre fabriquer sa colle bio aux abats. Puis générique 2, et commence un film de zombie pur sucre, avec effets spéciaux ultracheaps assumés et intrigue scoubidou.
Tissé là-dedans et tout partout, de l’idée maligne à la pelle, des séquences animées chiques et variées (requin tigre du Tarn ! Raël en dessin animé ! Un karaoké sur la mort des bisounours !) et du dialogue joliment incongru. A peu près tout pour faire un film culte, donc, y compris la présence de Blutch dans un des rôles principaux.
Pourquoi bouder son plaisir ? Peut-être parce que je suis qu’un sale râleur pourri et que si VILLEMOLLE 81 semble, sous toutes ses coutures, le parfait objet à-la-mode pour gens coules, ça a tendance à me gaver un peu. Quoi de mieux qu’un film fauché-mais-pro tourné entre potes ? Pourquoi n’y pas coller des zombies, des robots, des saucisses de hamster ? Et mélanger des techniques de réal, des références vieux cinoche, des designs historiques ? Le top serait, là dessus, de choquer un tout petit peu, avec du pipi et des militaires qui se font des bisous, par exemple. Décaler, décaler, et puis saupoudrer ce qui reste de fun touchant voilà, ça y est, cette fois c’est trop.
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Après le kebab (burp), un Film Surprise, inscrit nulle part dans le programme et dans lequel Michael Jay White était
BLACK DYNAMITE de Scott Sanders
"Dat’s some heavy shit."
Une idée de merde dans l’air du temps : refaire des films à l’ancienne, mi hommage, mi parodie, en feignant le grain dégueux à coup de numérique, en chorégraphiant les perches dans le champ, en dirigeant les acteurs pour qu’ils jouent comme des patates. Recréer, pas dupe, le kitsch d’antan, et en rire entre soi. Ha ha.
B.D. resuce ici les riches heures de la blacksploitation. Cols pelle à tarte, cocottes de guitare et pimps kung fu en plate-form shoes. Pas ma came, a priori. Sauf que, le vernis décapé, ce film-là envoie vraiment du bois. Que M.J. White est une brutasse à la bagarre. Et que les clins d’yeux pour cinéphile-cinéphilants s’effacent en deux deux derrière la débilité abusée du scénario.
"Never seen a doughnut with croco shoes."
Alors ouais, ça flingue, ça tabasse, ça cavale. Un coup on évoque la guerre de Vietnam (flashback, ralentis), un autre la mort du petit frère (zoom, larme, violons). Oui il y a du complot anti nègres, des Black Panthers, des maffieux à bagouzes, un savant diabolique et un monde meilleur à venir. Et il y a aussi une vraie jouissance, après trente ans de sexistement correct, à se rouler dans la fange du machisme le plus crasse, l’apologie de la virilité à gros pecs et à pornostache. Black Dynamite est le personnage le plus blindé de testostérone depuis longtemps au cinoche, un peu comme si le Dujardin d’OSS117 était passé aux UVs, avait bouffé deux cent poulets aux hormones et chopé la voix de Barry White.
"The choice is between the sheets and the streets : you can go, baby… or you can come."
Les dialogues sont, pour ne rien gâcher, écrits au millimètre, dans un festival de punchlines à la con, de dirty dozens et de répliques en bouts rimés, mâchouillé d’accent soul’n cool de gros matou. Le script, enfin, se paie quelques moments de bravoure, dont l’élucidation de tous les mystères de l’intrigue par un jeu de devinettes qui part de la cuisson des gaufres et aboutit aux serpents tropicaux en passant par plusieurs dates clés de la Grèce Antique.
Ca sortira en salle en janvier 2010, qu’on se le chante.
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Enfin (enfin), histoire de finir de finir, un trio de courts :
DOLOROSA de Christophe Debacq, premier tour de piste d’un nouveau réal, intrigue archirevue dans le ton sinistre attendu. Salir, dénuder, emprisonner, violer et faire saigner une jeune fille. Bizarre à quel point ces pratiques sont récurrentes dans le court de genre, avec cette vision de la sexualité riante et épanouie.
MAMA d’Andres Muschietti. Carte de visite. Une séquence (quasi plan-séquence, en fait). Deux petites filles, un monstre. C’est court, c’est pro, mais je ne suis pas producteur et je m’en fous un peu.
Et une super pépite, le FRANKENSTEIN de J. Searle Dawley. Ca date de 1910, c’est la première adaptation du bouquin de Shelley et ça repose sur deux racines depuis longtemps pourries du cinoche : le vaudeville et la prestidigitation. Lecture du thème très libre : Franky, sa femme et la créature (attifée pour l’occase d’une incroyable touffe, les boulons viendront plus tard) vivent une sorte de ménage à trois, avant que le monstre ne choisisse de fuir devant tant de bel amour conjugal ! Plusieurs scènes reposent sur des reflets truqués avec un grand miroir, les acteurs s’agitent comme des beaux diables, c’est du théâtre, c’est du cirque, du livre illustré. Epatant.