Giorgino est un film où le personnage principal tousse beaucoup. Le délabrement, la mort, la maladie, la pourriture, le froid. Tous ces thèmes chers à Laurent Boutonnat sont exposés au sein de son long long-métrage.
1918. La guerre n’est pas encore finie. Giorgio Volli doit quitter l’armée car ses pourmons sont atteints. Il décide de retrouver des enfants handicapés dont il s’occupait à l’orphelinat. Il découvre que ceux-ci ont déménagé dans le manoir du docteur Degrâce à la montagne. Arrivé sur place, Giorgo apprend que les enfants sont tous morts noyés alors qu’ils étaient accompagnés par la mystérieuse Catherine.
Film maudit et boudé tant par le public que par la critique à sa sortie, Giorgino reste un film très étrange. Sa longueur exceptionnelle (un peu moins de 3h) n’est que partiellement justifiée. Couchée sur le papier, l’intrigue complète tient en quelques lignes. L’intérêt du film se situe donc plus dans la contemplation de l’univers visuel très personnel de Laurent Boutonnat, réalisateur attitré des clips de Mylène Farmer.
On retrouve là l’esthétique et les codes utilisés dans les Tristana et autre Libertine qui constituaient en fait de véritables courts-métrages. On voit clairement que le réalisateur est obsédé par son image et son cadre. Il compose comme un peintre et chaque plan regorge de détails, magnifiés par le format cinémascope. Il faudra donc accepter de se laisser submerger par l’atmosphère volontairement désagréable et anxiogène de Giorgino. Les attributs d’un film « classique » ne sont pas du tout présents. Par exemple, le personnage principal n’est presque jamais maître de son destin. Il se contente de subir les événements et d’agoniser lentement. Le village où il séjourne est dirigé par de vieilles et laides rombières dont les maris et les fils sont partis à la guerre. Cette excès de féminité frustrée fait de Giorgio un véritable alien et il n’est certainement pas le bienvenu. C’est sans compter le climat glacial qui règne tout au long du film. Seule la demeure des Degrâce est un refuge pour lui, avec ses éclairages chauds et la présence de Catherine. La chanteuse s’en sort plutôt bien dans ce rôle de femme-enfant qui lui sied comme un gant. Boutonnat en profite pour dépeindre une histoire d’amour ambigü entre elle et Giorgio, avec quelques touches d’étrange érotisme, sans toutefois aller très loin dans le concept.
Sur trois heures, le réalisateur ne propose en fait qu’une suite ininterrompue de malheurs, une tristesse abyssale, de la frustration et l’absence totale d’espoir de bonheur. Le film semble donc se complaire excessivement dans le pathos. Cette souffrance extrême est néanmoins flamboyante, et elle est le catalyseur d’un jaillissement visuel pour le moins extraordinaire. Certaines images restent irrémédiablement en mémoire : le bénitier gelé, le cheval dans l’église ou le christ décapité.
Giorgino se serait certainement octroyé un plus large public s’il avait été plus court mais il ne serait plus l’étrange objet qu’il est aujourd’hui. Très déçu par l’échec de son film, Boutonnat l’a bloqué pour qu’il ne soit pas exploité en vhs ou dvd. Seul Canal Plus l’avait diffusé à l’époque. Ce n’est que fin 2007 que sort le dvd, que devaient attendre les nombreux fans de Mylène Farmer. Le transfert est très réussi mais il faudra absolument le regarder sur un grand écran et dans la pénombre pour pleinement profiter de ce spectacle baroque, aux frontières du fantastique.