Plébiscité pour ses courts-métrages, le suédois Johannes Nyholm, signe ici son deuxième long-métrage. Koko-di Koko-da peut postuler pour le titre le plus énigmatique de l’année. C’est en fait le nom d’une comptine allemande très populaire.
Le film démarre de façon classique, comme un pur produit familial et fait même un peu peur dans le mauvais sens du terme avec ses cadrages télévisuels, son image terne et légèrement surexposée. Cette curieuse absence de cinéma s’avère en réalité un trompe-l’œil, une manière détournée du réalisateur de nous prendre par surprise.
Un couple et leur enfant se rendent à l’anniversaire d’un membre de la famille, petite fête rance suintant une veulerie nordique assez déprimante qui donnerait presque envie de vomir. Elin, la femme, est victime d’une indigestion alimentaire et doit être rapatriée d’urgence à l’hôpital. Elle s’en sort, soulagée d’être auprès de son mari Tobias. Mais leur enfant a moins de chance.
Quelques années plus tard, le couple, marqué à vie par la tragédie, part camper un week-end au cœur de la forêt. La réparation n’a pas eu lieu, elle est en suspens comme figée dans le temps. Ils affichent des mines spectrales, s’engueulent à tour de rôle. Leur colère est palpable, installant une tension oppressante qui ne quittera jamais le film. La première nuit baignant dans une atmosphère naturaliste, limite glauque, n’est que le début d’un long voyage en boucle, calvaire d’un homme et d’une femme pris dans cette impossibilité à se pardonner. Ils sont devenus des monstres d’égoïsme. Cet aspect effrayant et étouffant est heureusement contrebalancé par le regard ironique et décalé d’un cinéaste virtuose qui parvient à créer un univers singulier avec trois bout de ficelles et une science innée du cadrage, loin de l’aspect terne du début.
La structure parfois mécanique du récit épouse la logique du cauchemar à répétition : le couple va vivre et revivre la même nuit, transformant alors Koko-di koko-da en un habile et détonnant mélange de Ingmar Bergman, d’Un jour sans fin et du conte enfantin, distordu par des éléments propres au film d’horreur. Pour un peu, on penserait même par intermittence à Blair Witch. Mais la dimension allégorique saute aux yeux, elle parasite et alourdit parfois le film, surlignant les intentions du cinéaste de vouloir réaliser une fable moderne sur le deuil et le pardon inévitable. Ce n’est pas en s’inspirant frontalement du cinéma de l’auteur de Persona que le film trouve sa meilleure source. Mais il trouve sa voie en débroussaillant les chemins sinueux et insolites de l’univers féerique : l’apparition des trois personnages issus de la comptine, le diable, la sorcière et l’ogre, constitue la part la plus énigmatique de Koko-di koko-da, qui articule brillamment humour décalé, poésie brute et ambiance cauchemardesque. Le discours pataud, plus que le sous-texte, sur la mauvaise conscience de parents, prend la forme ludique et anxiogène d’un jeu vidéo mental et poisseux, où les personnages, incapable d’analyser la situation, n’arriveraient pas à dépasser le premier palier, rejouant alors éternellement la même séquence. Jusqu’à la libération inévitable, qui diffuse une émotion toute en retenue.
L’effet de répétition s’avère séduisant mais reste parfois engoncé dans son dispositif théorique, manquant de respirations et de surprises.
On trouve de menus défauts d’écriture, qui ne sont rien face à l’inventivité formelle du film et l’audace constante de mélanger les genre au risque de paraître prétentieux. Les parties, très courtes, animées, sont absolument splendides, faisant alors de Johannes Nyholm un héritier, non pas de David Lynch comme on a pu le lire partout, mais plutôt des Frères Kays dont le génial Institut Benjamenta ressort bientôt. On pense aussi à Guy Maddin pour l’expérimentation et les idées insolites.
Débarrassé d’une narration trop évidente dans son symbolisme et ses enjeux, Johannes Nyholm pourrait devenir un très grand cinéaste. Son premier long, The Giant, hélas inédit, sur un géant qui joue à la pétanque, pourrait confirmer ces dires. En espérant, qu’il ne cède pas trop vite aux sirènes du cinéma hollywoodien comme beaucoup de ses compatriotes dont je ne citerai pas les noms ni les films.