De Tezuka, je ne connais guère que le dessin-animé Astro, le petit robot, produit d’après son manga, dans les années 80. J’ai lu il y a assez longtemps Les 3 Adolf, qui était déjà très marquant. Ce n’est donc qu’une petite partie de l’œuvre gigantesque d’Osamu Tezuka, considéré comme le Dieu du manga.
Avec Kihirito, on commence tranquillement par une histoire intimiste, un triangle amoureux entre un docteur, son concurrent pour gagner l’amour d’Izumi, et son supérieur hiérarchique manipulateur.
A l’hôpital, un patient s’est transformé en chien et semble sur le point de mourir. Cette mystérieuse maladie fascine et inquiète le Docteur Kirihito Osanaï, promis à un brillant avenir. Il se porte alors volontaire pour enquêter dans un petit village à la campagne afin de déterminer si la maladie est endémique, ce dont il est persuadé. Sur place, il doit faire face à des villageois hostiles. Il tombe amoureux d’une jeune autochtone et finit par contracter lui-même la maladie.
Le dessin presque naïf de Tezuka fait un contraste puissant avec l’intrigue. Si au début, tout est assez banal et convenu, plus on avance, plus c’est pire. Le récit s’élargit de plus en plus sans toutefois trop se disperser, le tout étant bouclé en seulement quatre volumes (plus de 800 pages quand même).
Le point de départ se concentre sur le microcosme de l’hôpital. Puis il se développe dans un petit village de campagne. A la fin du premier volume, cela vire au récit d’aventures internationales ! On pense un peu à Tintin avec de multiples rebondissements et des voyages lointains. On pourra trouver que la mule est un peu chargée car les intrigues se multiplient comme si Tezuka avait peur que le soufflé retombe. Même le style et l’atmosphère sont changeants, ce qui n’est pas forcément un défaut.
Contrairement à Hergé, et même s’il intègre ça et là de l’humour, Tezuka glisse progressivement dans l’horreur. Et même s’il n’y a rien de trop « graphique », les idées horribles sont là et les ellipses effrayantes, destinant ce manga à un public adulte.
Viols,meurtres, traites d’humains, tortures. L’auteur semble fasciné par la cruauté sans limite des hommes. Son héros s’en sort plutôt bien au début mais finalement il ne maîtrise plus rien et s’enfonce dans un chaos qui semble inexorable. Certains passages sont glauques et offrent une vision de sexualité déviante assez étrange (le personnage de Li-Hua est une nymphomane attirée par le côté « chien » du docteur !)
Passionné de médecine, Tezuka imagine cette maladie bizarre, qui donne une envie irrépressible de viande crue aux victimes. Il fait de son histoire un thriller médical et scientifique passionnant. Notre héros doit affronter d’autres médecins, qui ont chacun une théorie et des conflits d’intérêts.
Par le biais de la difformité pathologique, l’auteur aborde la question de l’acceptation de la différence. En annexe, on y trouve un discours sur le racisme et l’on voit comment sont vus les Japonais dans une Afrique du Sud encore gangrénée par l’apartheid. Outre les péripéties, le fil principal est constitué par un grand questionnement moral et éthique, sachant que docteur était la vocation initiale d’Osamu Tezuka.
C’est édité chez Delcourt, soit sous la forme de 4 volumes, soit sous forme d’intégrale.