L’école emportée, de Kazuo Umezz


De cette œuvre, on retiendra l’hystérie permanente et collective qui règne tout du long sur le récit. Dès le début, ça commence par un conflit et ça ne s’arrêtera pas, au point que l’on ressortira lessivé de la lecture.

Le jeune Shô est au CM2. Sa mère le gronde car il n’est pas capable de se lever tout seul le matin. L’enfant se montre alors très insolent. Après une violente dispute qui laisse les deux fâchés, Shô parvient à l’école mais celle-ci « disparaît » purement et simplement suite à un événement étrange. Il ne reste qu’un énorme cratère. On comprend assez vite que l’école, son personnel et ses élèves ont été transportés ailleurs, sur une autre planète ou une autre dimension…

Dès lors, la panique va saisir tout autant les adultes et les enfants. Plongée dans l’inconnu, cette micro-société va passer par différentes phases évoquant l’Histoire humaine et la sociologie. D’abord, les adultes vont tenter de rassurer les enfants et de maintenir le calme dans la grande tradition des récits japonais de catastrophe. On pense aux nombreux séismes que les Japonais sont préparés à subir. Une fois l’apocalypse confirmée, les choses se corsent et ce n’est plus que folie et perte de contrôle. Ce sentiment de panique est illustré par des bulles non pas arrondies mais ornées systématiquement de pointes, avec pléthores de points d’exclamation. Les personnages sont toujours énervés (sourcils froncés, bouche ouverte) et ils semblent crier en permanence. Le style graphique, inspiré d’Osamu Tezuka, est parfait car il mêle la candeur à l’horreur. Au gré des explorations, on a droit parfois à de grandes planches illustrant des visions dantesques.

Le récit prend une tournure politique car il faut organiser la survie et partager les maigres ressources. Des règles doivent être établies pour faire face à ce nouveau milieu hostile. Si un tel événement pourrait provoquer un élan de solidarité, l’auteur voit les choses d’une autre façon. C’est le « chacun pour soi » qui prime et l’enjeu n’est pas la survie mais la prise de pouvoir sur le groupe. Ainsi, plusieurs leaders émergent avec à chaque fois des conséquences catastrophiques. L’histoire montre alors une succession haletante d’alliances, de révolutions, de trahisons et de manipulations de l’opinion.

Les élèves de l’école primaire s’en prennent plein la tronche. Ils tombent des fenêtres, ils sont piétinés, frappés et blessés par des professeurs qui ne contrôlent plus la situation. Les adultes, censés être garants de la morale, sont les premiers à péter les plombs. Les scènes gores sont nombreuses et choquantes. La cruauté des situations ne paraît pas avoir de limite. Car Umezz entrechoque l’indicible horreur avec l’image du quotidien (l’école) et l’image de l’innocence (les enfants). Il réactive les peurs enfantines avec son regard d’adulte pour créer la terreur.

Publié au milieu des années 70, on sera stupéfait de voir que ce manga n’a rien perdu de sa puissance évocatrice. En filigranes, on découvre un discours écologique avant-gardiste préfigurant le réchauffement climatique. Kazuo Umezz développe un univers fantastique très riche : voyages dans le temps, paysages désertiques, cataclysmes, monstres, momies, survival, battle royale, auatant d’éléments que le cinéma de genre exploitera plus tard à foison. La richesse graphique, sociologique et narrative fait de l’école emportée une œuvre incontournable du manga.

L’école emportée a été ré-édité en 2021 par Glénat en six tomes. L’édition plus ancienne était d’un format beaucoup plus petit, ce qui rendait la lecture difficile et désagréable.


A propos de Jérôme

toute-puissance mégalomaniaque, oeil de Sauron, assoiffé de pouvoir et d’argent, Jérôme est le father de big brother, unique et multiple à la fois, indivisible et multitude, doué d’ubiquité. Il contrôle Cinétrange, en manipulant l’âme des rédacteurs comme des marionnettes de chiffons. Passionné de guerre, il collectionne les fusils mitrailleurs. Le famas français occupe une place d’exception dans son coeur. C’est aussi un père aimant et un scientifique spécialisé dans les nouvelles technologies de l’information. Pour faire tout cela, il a huit doppel gangers, dont deux maléfiques. Il habite au centre du monde, c’est-à-dire près de Colmar.

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