Arthur Harari s’était fait remarquer avec Diamant noir (2015), véritable pépite qui reprend les codes du film noir et des films américains urbains des années 1970. Le réalisateur français récidive avec Onoda 10 000 nuits dans la jungle. Le film a eu un succès critique : le prix Louis-Delluc en 2021, le prix du meilleur film français du syndicat français de la critique de cinéma en 2021 et le César du meilleur scénario originale en 2022. Il a été cependant un réel échec commercial puisqu’il a réalisé seulement 43 000 entrées. Étrange pour une œuvre dont les qualités sont très nombreuses.
L’histoire semble dingue. Le jeune soldat Hiro Onoda est envoyé sur l’île de Lubang aux Philippines juste avant le débarquement américain. Le jeune homme appartient à un groupe entraîné par le major Taniguchi qui les a initiés à une technique spéciale appelée « guerre secrète ». Une fois les combats passés, le personnage principal va initier les hommes avec qui il reste sur l’île à cette philosophie guerrière qui permet à toute personne qui la suit de survivre, peu importe le contexte. Il lui faudra attendre dix mille nuits avant de finir cette guerre.
Pour entrer dans cette histoire, un long travelling avant emmène le spectateur sur un bateau pour rejoindre la fameuse île de Lubang, lieu central de cette histoire. 1974, un jeune japonais se rend dans la jungle et passe une chanson à la mode durant la seconde guerre mondiale. Celle-ci interpelle un ancien soldat camouflé dans la jungle, Hiro Onoda. Un plan serré indique qu’elle lui rappelle son passé avant qu’il soit envoyé en mission sur l’île. Ce son précis renvoie le combattant et le spectateur en 1944, époque à laquelle il est un jeune soldat un peu perdu.
Une des qualités du film est de mêler la grande Histoire à la petite. Onoda fait partie des nombreux hommes que le Japon va utiliser pour faire face aux Américains dans le Pacifique. Le personnage est présenté pendant les dix premières minutes comme un jeune homme timide moins brillant que son frère. Son père lui reproche son attitude distante par rapport à l’Empereur alors qu’il devrait se sacrifier pour son pays. Ce jeune homme va s’efforcer de réparer cette relation familiale en intégrant la section militaire qui va lui apprendre la guerre secrète. Ce contexte va expliquer l’attitude du personnage principal qui va tout faire pour survivre et faire en sorte de continuer cette guerre sur cette île, autre personnage essentiel du film.
Le film, composé d’un long flashback (plus de 2 h 15), est découpé en plusieurs chapitres temporels (1946, 1949, 1950 et 1973) afin de retracer l’odyssée de Hiro Onoda. D’abord en groupe, il finit par se retrouver seul sur cette île. A travers une forme de conte utopique, le récit montre des hommes isolés qui imaginent un nouveau monde et font perdurer la guerre, en dehors de ce qui passe dans le reste du monde. La carte militaire utilisée pour le repérage en 1944 va devenir la référence de ces hommes qui ont perdu tout contact. En 1950, des Japonais (dont le frère et le père de Hiro Onoda) viennent sur cette île pour leur expliquer que la guerre est terminée. Malgré cela, les rescapés vont rester sur l’île, sans croire les visiteurs. Ils vont par contre utiliser les objets laissés par la délégation. Ce passage est un moment important car il va amplifier l’isolement des personnages restés sur l’île. Les journaux et la radio vont être réinterprétés dans le sens de la propagande acquise par ces soldats. Ces scènes sont intéressantes et sont en quelque sorte une lecture de l’époque actuelle (il a été pourtant tourné en 2019) : que sommes-nous devenus durant cette période de confinement ? Que se passe-t- il lorsque nous restons enfermés sur nos propres convictions ? De quoi avons-nous peur pour rester bloquer sur ces convictions ?
Ces questions ne font pas oublier la beauté et l’onirisme de ce film. Il est compliquer de catégoriser cet OFNI mais il est facile de le rapprocher d’œuvres comme Robinson Crusoé. Le rapport entre l’homme et la nature, le retour à l’âpreté de la survie de l’homme dans un environnement hostile, la fragilité de la condition humaine, toutes ces questions traversent Onoda. La caméra légère d’Arthur Harari transporte le spectateur dans ce quotidien très étrange où la nature luxuriante est une menace pour ces hommes qui ont décidé de refaire société sur une petite île. Peu de musique, des plans fixes sur la forêt omniprésente et les paysages grandioses mais aussi sur les hommes qui attendent la fin des pluies diluviennes de cette zone tropicale. L’aspect documentaire se mêle sans arrêt à une sorte de rêverie à laquelle participent les personnages. Cette mise en scène efficace permet de faire voyager le spectateur durant tout le flashback et de lui faire découvrir le chemin parcouru par Hiro Onoda.
La musique qu’entend le personnage principal en 1973 renvoie le spectateur au début du film. Presque trente années sont passées et Hiro Onoda retrouve le monde extérieur à travers la venue d’un jeune journaliste japonais venu le ramener à la raison. Le film fait une boucle temporelle comme cela est récurrent dans le cinéma japonais. C’est là encore une qualité évidente du film d’Arthur Harari : reprendre des codes du cinéma japonais (et de la perception du temps au Japon). Cette boucle est double. Le spectateur entrait dans le film (et dans l’île) par un travelling avant montrant Hiro Onoda sur un bateau. Il en sort par un travelling latéral qui met en avant un gros plan d’Onoda vieilli mais apaisé. Il a accompli son devoir et est de retour à la vie, en société avec les autres.
J’ai déjà hâte de voir le prochain film d’Arthur Harari !
Onoda, 10 000 jours dans la jungle est disponible en dvd et en blu-ray, édité chez Le Pacte. Photos : (c) Bathysphere
Fait en 71 une adaptation a chaud (Paris Match en parlait) du fait divers: 8 pages avec Tardi:Le soldat oublié