La mémoire est un continent mystérieux : bien que n’ayant pas revu le Pet Sematary de Mary Lambert (1989) depuis vingt-cinq ans, je me souvenais pas à pas de son déroulé global & de toutes ses scènes clés. Stephen King en a écrit le script et y fait un caméo en pasteur, tout minot, dans un beau cimetière du Maine. Comme moi, le film a vieilli par endroit – les coupes de cheveux, les sapes, le grand guignol de l’horreur à prothèse latex. Son fond reste intact et traumatisant. L’histoire de Simetierre s’ancre dans une peur viscérale, celle des deuils mal faits, de l’impuissance parentale, de la porosité des mondes morts et vivants. Son récit, radical de noirceur, transgresse les codes mêmes du film d’horreur – on avait dit pas les enfants ! – pour aboutir à un total unhappy end. Tout l’arc narratif avec le petit Gage, de son passage sous le camion à son exhumation, est admirablement réalisé. Un quart de siècle plus tard, j’ai ressenti une peur identique : nous sommes nos propres remakes.
Le Vénérable W. de Barbet Schroeder (2016) est le dernier prétexte qu’a trouvé le vieux chauve pour réaliser un docu de cinéma dans des conditions impossibles : un mois clandé en Birmanie à voler des images de rue à la RED, suivre des tournées de moines dingos, retracer le basculement du pays dans le ségrégationnisme antimusulman. Fake news + hate speech + amnésie nationale, si on reconnaît certains schémas, le gros reste une révélation. L’arrière-fond de la crise des Rohingyas, une dictature militaire dont le contre-pouvoir est un monachisme bouddhiste et un supervilain, Ashin Wirathu, lama androgyne susurrant des prêches haineux sur fond de musique pop. Ca fait un peu penser à The Act of Killing, en plus flou et humain, moins achevé. Schroeder fait des expériences, son boulot ne prétend pas tenir seul, mais agir. Est-ce un film sur le mal, comme on l’a prétendu, ou même sur Wirathu ? C’est une ouverture, en tous cas, une façon d’élargir des questions que l’on ne se posait pas encore.