Un jour avec, un jour sans, de Hong Sang-Soo 1


Attention spoiler (sans grande conséquence non plus)! Je ne peux évoquer le film sans dévoiler l’histoire et la relative petite surprise qui vous attend à mi-parcours alors que, lorsque je l’ai vu en salles, je ne savais rien de l’argument principal de ce que je considère comme l’un des plus beaux films du moment.

Ham Cheon-Soo, un réalisateur reconnu, se rend dans une petite ville pour présenter son dernier film. Arrivé un jour plus tôt, il se rend dans un temple local, lieu où il va rencontrer une jeune peintre novice, Hee-Jong. Quelque peu attiré par la beauté juvénile de la jeune fille, il l’accoste et tente de nouer une idylle avec elle. Qui se soldera par un échec au bout d’une heure. Puis surprise, le générique redémarre, et la même histoire se rejoue devant nous. Le titre Un jour avec, un jour sans est on ne peut plus explicite.

Sur un canevas conceptuel en apparence, évoquant vaguement Le hasard de Kieslowski ou Smoking No Smoking d’Alain Resnais, Hong Sang-soo, cinéaste que j’avais perdu un peu de vu depuis Un conte de cinéma (10 ans déjà), réalise un bijou d’intelligence et d’évidence. Il parvient à surpasser ses modèles en choisissant un angle radicalement différent et plus profond, et surtout moins théorique. Ce n’est pas un acte manqué qui induit le fait qu’une même journée peut basculer mais ce que l’on est à l’intérieur, si on décide d’être soi même ou d’appartenir à notre corps social pleinement. Dans la première partie, Cheon-Soo se retranche derrière sa fonction, fait preuve d’une fausse modestie, flatte inutilement la jeune peintre et, tout en buvant, ne cesse de dire qu’il n’est jamais saoul. Puis, dans la deuxième partie, un léger glissement d’humeur va bouleverser son rapport à l’autre, laissant aisément les émotions le guider. La morale est peut-être édifiante mais le film est touchant et subtil.

Le coréen ne s’engouffre pas dans un récit dichotomique artificiel et inutilement ludique sur les hasards de la vie. Au contraire, il rejoue à l’identique la même petite idylle furtive. Seuls quelques détails, attitudes, vont changer le cours de la rencontre. En étant sincère, le cinéaste du film va modifier le cours des choses et vivre la beauté fragile d’un amour naissant, alors que son attitude avait tout gâché dans la première partie. Et pourtant, c’est en étant lui-même, en admettant qu’il est saoul, en se mettant à poil devant les amies de la jeune fille qu’il va faire chavirer le cœur de cette dernière.

Le point de vue peut paraître prosaïque mais à l’écran cette proposition de cinéma passe à merveille.

La mise en scène, sous ses allures nonchalantes et paresseuses, est au contraire audacieuse. Les partis-pris formels sont pourtant cohérents. Un jour avec, un jour sans avance lentement avec de longs plans-séquences filmés en caméra fixe, perturbés parfois par des zooms discrets. Les décors sont réduits à leur plus simple expression. La lumière minérale se focalise sur les personnages.  Cette radicalité n’a pas pour but de s’enfermer dans un cinéma austère et autiste mais, au contraire, permet  au spectateur de se concentrer sur la direction d’acteur d’une exigence rare  et  d’apprécier par petites touches les changements d’attitudes, d’intonations des deux comédiens, tous deux magnifiques. La précision du dispositif impressionne et le film devient même extrêmement ludique, voire drôle, dans son deuxième volet. On guette, tel un apprenti analyste, ou détective, les variations, les changements comme, dans un jeu des 7 erreurs.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Hong Sang-soo ait choisi une telle histoire, car au fond, il s’agit d’un cinéaste de la répétition. Depuis ses premiers films, les très beaux Le jour où le cochon est tombé dans le puits ou encore La vierge mis a nu par ses prétendants, racontent la même ritournelle, soit la rencontre éphémère entre un homme et une femme. Il s’intéresse à l’instant précieux où deux personnages s’abordent, ce jeu de séduction fragile. Ces rencontres sont souvent filmées en temps réels avec un sens unique de la durée et une véracité peu commune. Surtout dans les scènes où les personnages se mettent à picoler et à réagir  de façon aussi absurde que crédible. Pourquoi? Parce que le cinéaste, dans la majorité de ses oeuvres, fait boire ses comédiens sans tricher et obtient d’eux des moments uniques, drôles et bouleversants.

Dans Un jour avec, un jour sans, la déclaration d’amour du personnage principal, après qu’il a ingurgité un bonne quantité de verres, est aussi comique qu’émouvante. Et nous ramène parfois à notre propre réalité.

(Corée-2015) de Hong Sangsoo avec Jae-yeong Jeong, Min-hee Kim, Yeo-jeong Yoon

unjouravecunjoursans


A propos de Manu

Docteur ès cinéma bis, Manu est un cinévore. Il a tout vu. Sorte d'Alain Petit mais en plus jeune, son savoir encyclopédique parle aux connaisseurs de films méconnus. Il habite près de Montpellier où il peut observer la faune locale : le collectif School’s out, l’éditeur le chat qui fume et l’éditeur Artus Films. Avec son air d’Udo Kier, il n’est pas exclu qu’on le retrouve dans une production de genre.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Commentaire sur “Un jour avec, un jour sans, de Hong Sang-Soo