Pasolini, d’Abel Ferrara


Par où le scandale est arrivé! C’est un peu ce que l’on pouvait imaginer, voire redouter  à l’annonce d’un biopic du grand cinéaste italien par Abel Ferrara, l’enfant terrible et déchu, du cinéma américain. Les temps tumultueux des torturés Bad Lieutenant et Snake eyes sont loin. Abel s’est assagi, apaisé plutôt.

Le dernier jour de la vie de Pier Paolo Pasolini n’est pas l’occasion de s’engouffrer dans la provocation et/ou la subversion, de réaliser un de ces faux films rebelles à la petite semaine. Ferrara commence par montrer des images de Salo où les 120 Jours de Sodome dans la salle de montage. Pasolini finalise son ultime chef-d’œuvre. Ce que l’on visionne à l’écran, à la limite du soutenable, permet à Ferrara de s’incliner devant son maître et de dire en substance qu’en matière de subversion  « je ne peux rivaliser ». Juste après, il montre une scène de fellation assez crue. Voilà pour les images qui pourraient choquer les âmes prudes. Pour le reste, Ferrara tourne le dos à toutes les conventions du biopic traditionnel.

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La teneur du projet frappe par son humilité et sa justesse. Pasolini n’est pas décrit comme une icône intouchable mais comme un artiste entier, simple, créatif et humain. Ferrara filme son quotidien jusque dans sa banalité la plus touchante. Les visites chez sa mère, qu’il adorait, en sont l’incarnation la plus émouvante. Un repas entre amis en dit aussi plus long que certains discours sur le choix opéré par un Ferrara qui trouve constamment le ton juste, comme touché par une certaine grâce.  On observe Pasolini au travail en train d’écrire un roman et commencer un nouveau film. Ferrara ose naïvement l’impensable : mettre en image le projet de Pasolini. Ca pourrait être ringard mais c’est très émouvant et paradoxalement très modeste. Cet aspect anti-spectaculaire permet de mieux saisir la portée du verbe, alerte, vif, brillant. Ferrara saisit l’essence du personnage, son engagement, son humanité, ses faiblesses et surtout son analyse pertinente du monde qui l’entoure. Pasolini est une figure dérangeante  du XXème siècle qui fustigeait le capitalisme et le consumérisme. Il vivait sa vie d’artiste pleinement et accordait un grande importance à la beauté, la création, la poésie. Un libertaire qui dérangeait aussi à gauche. Son assassinat représente une perte énorme pour l’art mais aussi symbolise une mutation d’une société qui va s’engouffrer dans un fascisme ordinaire.

L’auteur de King of New York épouse sans polémique la thèse officielle de l’assassinat du poète italien par un groupe de jeunes homophobes, évitant ainsi de sombrer dans les thèses complotistes impliquant la mafia et certains politiques en place.  Peu importe le ou les coupables car beaucoup de monde avait des raisons d’ôter la vie à un homme épris de liberté, et, pour une fois on peut l’affirmer, vraiment rebelle dans l’âme.

La beauté limpide de cet épisode ultime de la vie d’un des grands noms du cinéma tient pour beaucoup à l’élégance de la mise en scène, toujours raccord avec le sujet traité. La caméra, très mobile, caresse le personnage avec une infinie délicatesse. La fluidité de la narration n’est pas tant liée à un récit clair et linéaire (ce qu’il n’est pas) qu’à un travail sur le montage absolument extraordinaire, point fort depuis toujours du cinéma de Ferrara. L’art de l’ellipse, l’enchaînement intuitif entre les plans et le jeu subtil des surimpressions composant ainsi des cadrages très picturaux, soulignent l’intelligence formelle d’une œuvre qui atteint son but : sans lyrisme et délire pompeux, atteindre le cœur. Sans négliger le cerveau.

La douceur du jeu de Willem Dafoe, tout en retenu, est en osmose parfaite avec la tonalité du film. Sa voix envoûtante et son regard plein de bonté et de compassion rendent un hommage vibrant et sincère à un artiste hors-norme qui était aussi un homme comme les autres. Et Ferrara, avec un naturel évident, poursuit à sa manière le travail créatif (notamment les séquences du film dans le film) du réalisateur de Théorème. Eblouissant.

(FRA/BEL/ITA-2014) de Abel Ferrara avec Willem Dafoe, Maria De Medeiros, Ninetto Davoli, Ricardo Scarmacio, Adriana Asti

Edition Capricci. Durée: 81 mn. Format: 1.85. Langue: Français, Italien, Anglais. Sous-titres: Français, Flamand

Bonus

Dans les coulisses de Pasolini, 2015 6 mn

Dialogue avec Abel Ferrara animé avec Jean-François Rauger, Cinémathèque française, 2015, 48 mn


A propos de Manu

Docteur ès cinéma bis, Manu est un cinévore. Il a tout vu. Sorte d'Alain Petit mais en plus jeune, son savoir encyclopédique parle aux connaisseurs de films méconnus. Il habite près de Montpellier où il peut observer la faune locale : le collectif School’s out, l’éditeur le chat qui fume et l’éditeur Artus Films. Avec son air d’Udo Kier, il n’est pas exclu qu’on le retrouve dans une production de genre.

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