Christian, producteur de films, est amoureux fou de Tara, une actrice. Ils vivent ensemble et se livrent à des jeux érotiques un peu tordus. Obsédé par l’idée qu’elle le trompe, Christian fait suivre Tara et découvre qu’elle entretient effectivement une liaison, avec son ex petit ami, Ryan, qui doit jouer dans un de ses films. Le producteur décide alors de les piéger.
Quel étrange projet ! Le film s’ouvre par une série de plans saisissants de crudité, exposant sans retenue des salles de cinéma délabrées et à l’abandon. En apparence déconnectée du reste du film, cette introduction indique bien dans quel état d’esprit l’écrivain Bert Easton Ellis et le cinéaste Paul Schrader ont pensé leur film. Comme Godard ou Wenders jadis, ils clament non pas la mort du cinéma mais celle d’un certain cinéma à l’heure d’Internet, Youtube et tous les moyens de diffusion. Une impression de tristesse émane de ces plans magnifiquement cadrés.
The canyons, toute petite production indépendante, a même été conçue par ses voies alternatives après l’abandon d’un gros projet ambitieux qui devait réunir les deux artistes. Déçus que rien n’aboutisse, ils ont décidé de mener à bien un tout petit film morbide et dérangeant, réalisé dans l’urgence, à la frontière du bis et du cinéma d’auteur le plus radical. Le film n’a pas été distribué dans les salles américaines, uniquement sorti en VOD en août dernier.
Dans la lignée du dernier et superbe roman d’Ellis, Suites impériales, The canyons est un néo film noir très codifié situé dans le milieu du cinéma. Un milieu réduit à quelques personnages, trois villas, une piscine et un bar. Les séquences en extérieur sont rares. Tout est filmé en vase clos comme si le monde était réduit à un univers de surface, étouffant et glacial. Les personnages ne parlent que de sexe, d’argent, de pouvoir, mais n’évoquent jamais le cinéma, comme si personne n’y croyait au fond. Un producteur fils à papa, issu des meilleurs romans du scénariste, finance un film autour duquel va graviter une intrigue tortueuse et perverse sur fond de sexe, manipulation et meurtre évidemment. Dans une ambiance déliquescente, Paul Schrader filme un monde mortifère, sans vie, sans humanité. The canyons est une œuvre limite, totalement déprimante, toujours sur la corde raide, à la frontière du ridicule, évoquant tour à tour les derniers De palma, David Lynch, Abel Ferrara et même Jean Claude Brisseau. Tous ces artistes aujourd’hui au bord de la rupture et rejetés par le système.
Objet singulier et peu aimable, ce thriller teinté d’érotisme anti-sexy au possible, ne renouvelle guère le discours sur la décadence et le cynisme qui anime le monde impitoyable du septième art. Le puritanisme légendaire du cinéaste d’American gigolo imprègne la pellicule jusqu’à saturation, son rapport fascination/répulsion de ce qu’il filme atteint ici des sommets d’ambiguïté et de déviance. Ça pourrait être complaisant et réactionnaire comme chez Joel Schumacher dans (par exemple) 8 mm. Mais Schrader est tellement sincère, impliqué dans son rapport à l’image qu’il parvient à transcender une histoire convenue et moralisatrice. Surtout, la mise en scène, splendide, possède une rigueur, une sécheresse rare dans le cinéma américain. On pense presque à du Bresson clinquant et moderne. Je ne dis pas ça au hasard, sachant que Schrader a écrit sur le réalisateur d’Un condamné à mort s’est échappé.
Loin d’égaler ses chefs d’œuvre comme Hardcore ou La féline, le plus sous-estimé des cinéastes américains, scénariste émérite de Taxi driver, Paul Schrader livre une œuvre atypique et presque angoissante, un portrait sans concession d’une jeunesse « apathique » et friquée, portant la marque de l’auteur d’American Psycho. L’autre raison d’aller voir le film réside dans la présence totalement envoûtante de Lindsay Lohan, le regard perdu, la voix éraillée, le corps abîmé. A 27 ans, elle ressemble à une star déchue. Elle est magnifique, et porte en elle tout le désespoir de son personnage. En face d’elle, l’acteur porno James Deen est plutôt beau gosse mais pas très convaincant.
(USA-2013) de Paul Schrader avec Lindsay Lohan, James Deen, Nolan Gerard Funk, Gus Van Sant. Sortie en salles le 19 mars