Ill Manors


Réalisé par Ben Drew, alias Plan B, rappeur britannique, Ill Manors promet d’en mettre plein la vue. Prostitution, racket, violences, drogues, sexe déviant, guerre des gangs, le programme est chargé, un peu trop sans doute. Plan B est utilisé comme caution. Le jeune homme a baigné dans le milieu qu’il dépeint, celui de la jeunesse désœuvrée issue des foyers sociaux.  Au départ, l’idée est plutôt bonne : faire une peinture sociale et culturelle, à mi-chemin entre Trainspotting et The Wire, le tout situé dans l’est londonien contemporain. Le concept génial était d’intégrer des morceaux de rap et de hip-hop, chargés en Drum’n’Bass ou au contraire plus mélodieux, dont les paroles racontent le background de chaque personnage. Ca ressemble un peu à la chanson de Rza qui narre les origines d’Oren Ishii, personnage interprété par Lucy Liu dans le Kill Bill de Tarantino :

Pas très grave puisque le rap dans sa forme et dans son fond se pose là en artifice idéal de mise en scène. L’idée est simple mais redoutablement efficace et permet une rupture dans le rythme de la narration, presque comme une comédie musicale. En quelques minutes, grâce à un montage et des effets de style staccato, cela nous permet de faire ample connaissance avec des personnages très bien construits, comme Kirby le vieux dealer dont l’histoire s’étend des années 80 aux années 2000.   Même s’il y a de nombreux personnages, même s’ils font un peu n’importe quoi n’importe comment, la mise en scène sublime les péripéties. On peut citer The Wire pour évoquer le talent du réalisateur à reconstruire à l’écran un univers urbain u’il connaît bien. Ca passe par des scènes de la vie quotidienne (petit ou gros trafics, bastons), par l’argot (on ne compte plus le « bruv », les « innit » et les « oi »), par les décors (de nombreux squats pourris, des immeubles désaffectés et enfin par les moyens de filmer (téléphone portable et caméra de surveillance). C’est ce foisonnement, issu d’une observation méticuleuse, qui donne toute sa force et sa crédibilité au film.

Hélas, trois fois hélas, le film explose son moteur à mi-parcours. Quand une petite frappe récupère un bébé abandonné dans un métro, le scénario tombe presque du côté de 3 hommes et un couffin. Les idées de mise en scène et les passages musicaux sont moins nombreux, les dialogues de plus en plus pauvres et répétitifs, bien que toujours riches en « fuck », façon Scarface des cités. Trainspotting, malgré des scènes de grand nawak, gardait suffisamment de recul pour porter un regard sur une certaine jeunesse à une certaine époque. Ill Manors, et sans doute son réalisateur, sont encore trop ancrés dans le milieu qu’ils décrivent pour porter un regard vraiment intéressant, qui dépasse l’imagerie du voyou (capuches, sales gueules et smartphones).

Car le point faible du film est certainement son propos, un peu confus. Plan B semble vouer une admiration pour ses personnages de petits voyous et leurs comportements violents. Mais pour autant, il reste finalement moral. Les explosions de violence ne font que retomber sur les auteurs ou leurs proches. A demi-mots seulement, Plan B tente d’expliquer que les émeutes et la violence sont générés par un système qui ne fonctionne plus. On entend vaguement des références à la politique mais là encore, ce ne sont que quelques discrètes répliques.

Par ailleurs, certaines scènes ne fonctionnent absolument pas. Peut-être la faute au casting, composé d’acteurs mais aussi d’autochtones inexpérimentés. La mise en scène peut sauver un jeu défaillant mais ce n’est pas le cas ici. Il est difficile de croire à cette scène où le très jeune Jake passe du statut d’innocent garçon en tueur sauvage à l’arme blanche en quelques secondes…

Ill Manors est un premier essai, à moitié loupé, mais qui reste séduisant. On ne peut nier qu’il dégage beaucoup d’énergie grâce à l’inventivité de la mise en scène dans sa première partie. Malheureusement, le script ne suit pas, et l’on voit trop que les personnages sont reliés entre eux par des liens artificiels, des ficelles trop grosses.

Plan B est en quelque sorte l’équivalent londonien de nos frenchies de Kourtrajmé, Romain Gavras en tête. Des p’tits gars hargneux qui veulent en remontrer grâce à la provocation, mais qui finissent par produire une cacophonie n’atteignant aucun but. Remuer la merde, d’accord, mais pour quoi faire ?

Ill Manors bénéficiera d’une sortie dans les salles française le 3 avril 2013.

Le clip de Justice

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Plan B résume son propos


A propos de Jérôme

toute-puissance mégalomaniaque, oeil de Sauron, assoiffé de pouvoir et d’argent, Jérôme est le father de big brother, unique et multiple à la fois, indivisible et multitude, doué d’ubiquité. Il contrôle Cinétrange, en manipulant l’âme des rédacteurs comme des marionnettes de chiffons. Passionné de guerre, il collectionne les fusils mitrailleurs. Le famas français occupe une place d’exception dans son coeur. C’est aussi un père aimant et un scientifique spécialisé dans les nouvelles technologies de l’information. Pour faire tout cela, il a huit doppel gangers, dont deux maléfiques. Il habite au centre du monde, c’est-à-dire près de Colmar.

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