Bullhead


Bullhead (Rundskop, 2011) de Michaël R. Roskam (l’attendu Animal Rescue, « starring » Tom Hardy & Noomi Rapace) est l’œuvre qui a révélé au monde le magnétisme incandescent de Matthias Schoenaerts (Left Bank, Loft, De rouille et d’os), propulsé depuis dans les hautes sphères du star system franco-ricain. Il sera bientôt à l’affiche du premier film américain de Guillaume Canet (le polar Blood Ties) – aux côtés de Mila Kunis, Clive Owen ou James Caan (excusez du peu !) -, du remake US de Loft et du drame d’époque A Little Chaos, chapeauté par Alan Rickman.

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Mais Bullhead – nominé à l’Oscar du Meilleur film étranger en 2012 – est surtout symptomatique de l’état du cinéma belge, où le clivage entre les deux principales communautés du pays n’a jamais été aussi prononcé. Tandis qu’en Flandre, ils se replient sur eux-mêmes (tournant avec des techniciens du cru) et débloquent des moyens conséquents injectés dans le cinéma de genre grand public (pour l’essentiel du polar/thriller), avec le succès commercial/critique que l’on sait (De zaak Alzheimer aka La mémoire du tueur, 2003, Left Bank, Loft, tous deux de 2008, …), les Francophones se complaisent dans les œuvres sociales à fort pathos, les comédies bas du front et un certain surréalisme poétique héritier d’André Delvaux (L’homme au crâne rasé, Un soir, un train).

Soit autant de genres plébiscités par les festivals huppés et les commissions de financement, en général allergiques à d’autres propositions (j’en sais quelque chose…). Dans ce contexte, la poignée de francs-tireurs (tel Fabrice Du Welz) qui parviennent à faire aboutir – contre vents et marées – un premier long-métrage singulier par rapport à la production habituelle, sont automatiquement condamnés à s’expatrier…

Mais revenons-en à Bullhead. Schoenaerts – bien qu’il porte le film sur ses solides épaules – n’est pas seul et entouré de trognes propres au versant vlams du plat pays : Jeroen Perceval (Dagen zonder lief, la série policière Zone stad, shootée à Anvers), Barbara Sarafian (Moscow, Belgium, Meisjes), Tibo Vandenborre (Zwart water, Swooni) ou encore Frank Lammers (De grot, Grimm, De dominee).

Néanmoins, dès les premières minutes, Matthias Schoenaets bouffe l’écran. Son personnage renfrogné est un monstre de charisme brut et mal dégrossi ; véritable concentré de virilité animale dopée aux hormones. C’est bien simple, sa puissance d’incarnation fait songer au De Niro de la grande époque (Raging Bull and co)… Rundskop s’ancre dans le milieu des mafias de la viande bovine et leurs opérations commerciales troubles. On découvre leurs combines louches pour décrocher de nouveaux fournisseurs et les moyens douteux usités pour engraisser le bétail.  Leur fonctionnement  n’est pas très éloigné de celui d’autres filières criminelles et nombreuses sont les personnes qui gravitent dans ce microcosme fermé, agissant d’une façon ou d’une autre aux divers stades de l’échelle de production. L’atmosphère générale est lourde et emplie d’une violence diffuse qui ne demande qu’à exploser. Les scènes avec les deux garagistes wallons magouilleurs et gouailleurs offrent donc des instants d’humour bienvenus.

Bullhead s’articule en deux temps : de nos jours avec les tractations liées à l’hormone de croissance et par le passé, avec des flashes-back de l’enfance de Jacky (Matthias Schoenaerts), explicitant le processus qui a fait de lui ce grand gaillard déréglé par l’injection continue de testostérone. Vient s’y greffer une histoire d’amour contrarié entre Jacky et cette fille – devenue vendeuse dans une parfumerie – pour qui il avait le béguin enfant. Et dont le frère simple d’esprit est à l’origine de la perte de ses parties intimes…

Il y a aussi dans Bullhead quelque chose de la Belgique profonde, ses accents chantants et son festival de gueules cassées. Le tout au service d’un néo-thriller naturaliste aux accents intimistes, idéalement servi par la rigueur (faussement) austère et la sécheresse de la mise en scène de Michaël R. Roskam. Une œuvre efficace, sans compromis et directe comme un crochet du droit dans les côtes. Un modèle de film de genre carré et atypique. Vous me direz, normal, c’est un film belge… (pas besoin d’être français pour être chauvin, je vous le signe !)

Bullhead (Rundskop, 2011) de Michaël R. Roskam, avec Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy, Barbara Sarafian, Tibo Vandenborre et Frank Lammers.

Review DVD

Une édition DVD soignée aux petits oignons par Ad Vitam. On y retrouve deux fabuleux courts-métrages de Michaël R. Roskam (Carlo, 2004 et Une seule chose à faire, 2005), ainsi qu’un entretien intéressant avec Matthias Schoenaerts (le « Johnny Depp belge », selon certains) et la bande-annonce de Bullhead.

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A propos de Alan

Alan Deprez était un môme étrange, à l'imagination débordante et souvent prisonnier de son monde intérieur. Le cinéma fantastique et d'horreur - bientôt rejoint par les films asiatiques, bis, érotiques et pornographiques - se sont dressés en piliers de sa cinéphilie, construite face à la petite lucarne et au vidéoclub de son quartier. Depuis lors, il partage son temps entre les plateaux (plusieurs clips et courts-métrages à son actif, dont Erotomania - hommage enamouré aux romans pornos de la Nikkatsu - et Cruelle est la nuit, un home invasion décalé, 100 % pur belge) et son activité de journaliste, chroniqueur et critique cinéma. Après avoir prêté sa plume aux magazines Hot Vidéo ou Metaluna, et rédigé toute une série de critiques pour L'Encyclopédie des longs-métrages français de fiction 1929-1979 coordonnée par Armel De Lorme, il n'en est évidemment pas resté là. Il écrit régulièrement pour le site du magazine Lui, mais aussi pour la revue culturelle Vivre Paris et, plus ponctuellement, pour le magazine Mad Movies. Sans oublier sa participation habituelle au semestriel CinémagFantastique, via quelques chroniques et en taulier de la rubrique rose Le Loup derrière la Bergerie. Mais ce n'est pas tout, car Alan contribue aussi aux fanzines « historiques » Médusa et Darkness, respectivement dédiés au Bis et à la censure cinématographique.

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