Bien que datant de 1960, La servante n’a rien à envier aux thrillers ultra-violents de Park Chan Wook (Old boy) ou de Kim Jee-Woon (J’ai rencontré le diable). La violence est ici plus psychologique que physique (quoique…), mais ce n’en est que plus dramatique.
Dong-Sik est un beau trentenaire, respectable à tous points de vue. Il vit dans une maison avec sa femme et ses deux enfants. Il enseigne la musique dans une usine de tissage, qui comprend exclusivement des ouvrières. Un beau jour, l’une d’elles lui laisse un mot doux. Le professeur le signale à la directrice et la jeune femme se fait exclure de l’usine. Deux femmes en profitent pour se rapprocher du professeur. L’une est amoureuse de Dong-Sik et prend des leçons privées de piano. L’autre devient servante auprès de la famille et commence à draguer ouvertement le professeur.
Sur la forme, le style de Kim Ki-Young se rapproche de celui de Hitchcock. Grâce à un travail sur les mouvements de caméra et sur la composition du cadre (nous sommes littéralement enfermés dans la maison et dans chaque pièce), le réalisateur créé une atmosphère anxiogène, claustrophobe. Avec sadisme, il nous jette en pâture quelques plans extérieurs très courts. On croit qu’on va respirer, mais c’est pour mieux replonger. Petit à petit, Dong-Sik est fait prisonnier. Sa liaison avec ces femmes redoutables de machiavélisme devient impossible à détricoter. Il se rend compte, tardivement, que sa famille va en pâtir, alors que l’unité de la famille était un de ces principes fondamentaux. On ajoute encore un peu de piment avec la femme de Dong-Sik qi est enceinte, etla servante qui se comporte en allumeuse lors de quelques situations érotiques. La tension monte crescendo et ce n’est pas cette mort aux rats qui traîne dans un placard et que l’on voit dès le début du film, qui va nous rassurer !
Au premier abord, on pourrait croire à un film sur la lutte des classes (le professeur bourgeois versus les ouvrières) ou même à une lutte des sexes (l’homme a l’ascendant sur la femme avant que ce ne soit l’inverse). S’il est évident que le film brosse un portrait de la situation sociale féminine de l’époque, il ne semble pas que ce soit le propos principal de Kim Ki-Young. Au final, le discours est plus complexe et plus pessimiste qu’il en a l’air. Chaque personnage tente de profiter des autres dans son propre intérêt. Ainsi, l’intrigue se vit comme des montagnes russes, rappelant les rebondissements des frères Coen, mais avec des relations amoureuses au lieu de l’habituel magot. Tous pourris, c’est le moteur du film, qui n’est pas sans rappeler à peu près tous les films coréens contemporains où le sadisme et la violence règnent souvent en maître. Personne n’est épargné, pas même les enfants, qui se muent successivement en bourreaux puis en victimes. Au final, on ne sait plus trop quoi penser sur les agissements de chacun.
La servante est une pépite noire à découvrir. Pour qui s’intéresse au cinéma coréen, le film montre que la violence omniprésente dans les thrillers d’aujourd’hui a des racines ancrées depuis fort longtemps, ce qui en fait peut-être une composante culturelle du pays.
A noter que le film a dû être restauré, ce qui explique une qualité médiocre sur l’image par moments. Des bobines étaient manquantes mais ont été retrouvées ailleurs, avec des sous-titres énormes qu’il a fallu effacer de manière numérique. Mais cela reste à ce jour le seul moyen de découvrir cette oeuvre subversive. Le dvd et le blu-ray sont disponibles chez l’éditeur Carlotta.