Jean Rouch est un ethnologue français qui s’est intéressé plus particulièrement aux peuples africains durant les années 40 à 60. Aussi bizarre que ça puisse paraître, ses documentaires peuvent être rapprochés des « mondo movies », ces films à sensations, à base de documentaire trafiqué et de tournage sur le vif. Décédé en 2004, Jean Rouch est passé à la postérité et on le considère aujourd’hui comme un personnage important du cinéma, à mille lieues des films trash comme Cannibal Holocaust ou Mondo Cane. A l’époque où le documentaire sert uniquement de caution à un discours pré-établi, le cinéma vérité de Jean Rouch fait figure de révolution, plus de soixante ans plus tard.
Il y a dans les mondo et chez Jean Rouch une envie parfois commune : celle de montrer sans juger ni censurer. Comme l’ont si bien décrit les auteurs Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud dans leur livre sur les mondo, la question principale est de connaître les intentions des réalisateurs afin de déterminer si un documentaire est honnête, ou s’il veut simplement choquer ou générer de l’argent comme un film d’exploitation. Chez Rouch, les intentions sont claires. L’homme a voué sa carrière à l’étude des comportements. Sa longue carrière et son implication dans le cinéma-vérité ou cinéma-direct a fortement influencé la vague des mondo movies, mais aussi d’autres réalisateurs.
Une aventure africaine est un coffret de 4 dvd disponible aux Editions Montparnasse. Il recense les recherches scientifiques de Jean Rouch. Chaque documentaire décrit avec moult détails la vie de certains tribus africaines. Il existe plusieurs coffrets ou dvd unitaires aux éditions Montparnasse. Cependant, certains doivent être réservés aux passionnés. Par exemple, le film sur le Sigui (l’invention de la parole et de la mort) est long et les détails fournis pourront perdre le néophyte. C’est peut-être là la limite du cinéma, les autres ethnologues préférant l’écrit pour publier leurs études scientifiques.
Les fils de l’eau
C’est depuis les années 40 que Jean Rouch s’intéresse au phénomène de possession songhaï, une ethnie présente au Niger. Cet intérêt pour l’ésotérisme se concrétisera dix ans plus tard dans son film le plus célèbre : les maîtres fous. Au pays des mages noirs évoque un peu tout et n’importe quoi sur les Songhaïs. On peut voir d’abord la chasse à l’hippopotame, qui prend des airs de véritable guerre. Les hommes se préparent à la bataille en fabriquant des harpons munis de flotteurs et une super-pirogue renforcée, pour venir à bout de ces colosses de deux tonnes. Puis nous passons aux rituels de possession avec la description des différentes phases : venue des esprits, convulsions, hystérie collective. En règle générale, les films sont précédés d’un petit texte évoquant les conditions naturelles de tournage : pas d’effet spéciaux, pas de provocations des événements, Jean Rouch est là pour l’observation et pas pour faire du sensationnalisme. Parfois même, la voix-off omniprésente et enthousiaste semble dire que Rouch partage les croyances de ceux qu’il étudie.
Les magiciens de Wanzerbe se concentre sur les actes magiques. Le magicien du village fabrique ainsi un charme pour engraisser par exemple les femmes trop maigres ! De même, tous les gestes et les raisons de ces gestes nous sont expliquées, avec la mythologie qui les accompagne. Ainsi, on voit le magicien lire dans le positionnement de coquillages. On sacrifie aussi des animaux, notamment un veau, dont l’exécution est assez horrible et jamais censurée par la caméra de Rouch.
Il faudra aussi avoir le coeur bien accroché pour Circoncision. Là encore, il s’agit d’un rituel, celui du passage de l’enfant à l’adulte. Aucun commentaire en voix-off n’est fait, un moyen radical pour s’empêcher du juger. Au spectateur d’apprendre et de comprendre. Avec nos yeux du 21ème siècle, on voit donc principalement une mutilation cruelle. Dans les tribus, pas d’anesthésiant, on tire, on coupe puis on garotte, à la chaîne. La pratique est évidemment culturel et n’est pas là par pur sadisme. Jean Rouch prend soin de montrer les enfants après l’acte : ils ont surmonté l’épreuve et retrouvent peu à peu le sourire.
La chasse au lion décrit avec moult détails l’expédition d’une tribu africaine pour aller chasser l’animal sauvage afin de se nourrir. On sera sans doute choqués de voir les lionceaux tués, au même titre que leurs parents. Mais loi d’un safari, ces chasseurs se lancent dans une authentique aventure, une traque sans pitié pour l’animal mais qui s’avère tout aussi difficile pour les hommes, qui cherchent là un moyen de subsistance.
Les maîtres fous
C’est sans doute le film le plus célèbre de Jean Rouch car c’est une oeuvre qui représente une bonne synthèse de tout son travail d’éthnologie. Le réalisateur y décrit les rituels de la secte Hauka située au Ghana. On voit des hommes tout à fait normaux entrer en transe et pratiquer une sorte de jeu de rôles ayant pour contexte la colonisation. Ainsi, on retrouve des personnages emblématiques : le gouverneur, la femme du capitaine, etc. Ces jeux ont tendance à devenir violents et extrêmes puisqu’on va jusqu’à sacrifier un chien et à discuter pour savoir si on le mange cru ou cuit. C’est là où se trouve la limite avec le mondo. Mais Rouch ne tombe pas dans le panneau du sensationnalisme. La caméra est présente mais se veut discrète. De plus, il montre qu’après ces chorégraphies frénétiques, après ces folles orgies, les hommes reprennent leur travail, un boulot banal d’ouvrier. Ainsi le titre prend tout son sens. Certes, les hommes ont l’air complètement fou mais ils restent maîtres de leur folie et reviennent d’eux-mêmes à l’état civilisé. A quoi servent ces rituels, sont-ils indispendables, Rouch ne se pose pas la question. A chaque spectateur de faire son jugement. C’est bien là la force admirable de cet ethnologue : tenter de n’imposer aucun point de vue, qu’il soit négatif ou positif, ce qui est une mission délicate, tant le cinéma est justement une question de point de vue. Près de soixante ans plus tard, Les maîtres fous reste une oeuvre fascinante et puissante.
Cocorico Monsieur Poulet
Sur le bord d’une route, trois types décident de fonder une entreprise de commerce de poulets. Pour chercher la matière première, ils prennent la route de la brousse au volant d’une antique et pétaradante « deuche ». Pour freiner, il faut poser son pied sur la roue avant, le moteur est rempli de chiffons, le rétroviseur se tient à bout de bras et un fauteuil de camping remplace le siège passager. L’aventure ne fait que commencer. Il faut faire le plein (ça fait mille francs), éviter les contrôles de police (Monsieur Poulet n’a pas les papiers du véhicule). Les obstacles s’accumulent : un village qui disparaît, une chasseuse d’éléphants qui pourrait bien être un diable déguisé, etc.
Réalisé tardivement dans la carrière de Jean Rouch (1974), le film est un pseudo-documentaire qui tient plus de la comédie. Si le récit est scénarisé (la voix-off habituelle est absente, ce qui nous met sur la voie du documenteur), les aléas importants liés à l’état du véhicule laissent une place importante à l’improvisation.