Twixt, de Francis Ford Coppola


Francis Coppola incarnait, avec Spielberg, Georges Lucas, Martin Scorsese et quelques autres trublions, le nouvel Hollywood dans les années 70, et au début des années 80, le super auteur capable d’investir des sommes faramineuses pour des projets démesurés et personnels tels que la série des Parrain ou Apocalypse Now. Ruiné suite aux désastres financiers de son pourtant magnifique Coup de cœur, la carrière de Coppola se fit plus discrète et globalement décevante jusqu’à atteindre le néant avec le pitoyable Jack en 95. En 1997, il interrompt brutalement sa carrière avec l’Idéaliste, adaptation sans relief d’un roman de John Grisham. Tout le monde ou presque pensait que Coppola était has been, laissant sa progéniture, Sofia et Roman, le soin de le remplacer sur le devant de la scène.

Et puis miracle ! Au bout de 10 ans de silence, Francis Coppola revient discrètement avec un modeste film indépendant, le très personnel Homme sans mémoire. Et ensuite Tetro avec Vincent Gallo.

Coppola ne cherche plus à impressionner les foules mais retrouve une inspiration perdue avec des petits films faits de bric et de broc, imparfaits, impurs, parsemés de fulgurances visuelles et poétiques. Paradoxalement, en revenant au cinéma de genre, Coppola signe avec Twixt son œuvre la plus personnelle, et plus intime à ce jour.  Il s’agit d’une plongée introspective dans la psyché d’un cinéaste qui n’a jamais été aussi impudique. Que l’on trouve ça complaisant ou touchant, le cinéaste accomplit une véritable auto-analyse d’une sincérité désarmante.

Twixt débute sous la double influence des frères Coen et de David Lynch pour aller ensuite se perdre dans l’esthétique kitch de Tim Burton. Une voix off nonchalante et ironique introduit une histoire qui s’annonce bizarre sur fond d’images étranges et familières. Coppola filme l’Amérique profonde avec la même distanciation que chez les Coen. Un écrivain « looser », sorte de Stephen King du pauvre, débarque dans une bourgade afin de promouvoir son nouveau roman sur la sorcellerie. Sa rencontre avec le shérif local va bousculer sa morne existence. Ce dernier lui propose d’écrire un roman à quatre mains sur d’étranges évènements qui ont eu lieu dans cette ville, lieu de perdition peuplé de fantômes, de sorcières, et de vampires.

Chaque soir, après avoir liquidé quelques verres de whisky, notre écrivain en panne d’inspiration plonge dans une sorte de coma qui va le transporter dans un univers onirique appartenant au passé et/ou à  son imaginaire. On y croise une jeune vampire diaphane, l’incroyable Elle Fanning, un prêtre fanatique qui va sacrifier des enfants, le fantôme d’Edgar Allan Poe, un jeune gothique déclamant du Baudelaire dans un français approximatif. Entre rêve et réalité, Twixt, sous ses oripeaux de songe gothico-policier, dévoile sa vraie nature. Il s’agit pour Francis Ford Coppola d’un examen de conscience, d’un retour sur son statut d’artiste et sur les évènements tragiques qui ont traversé sa vie. Preuve à l’appui. Sorte de film testament, Twixt rend un hommage vibrant à la série B voir Z qui a permis à Coppola de faire ses armes. Formé chez Corman, il réalise son premier film en 1963, Dementia 13, un vrai thriller gothique fauché et plein de charme. Et surtout, il revient sur la mort tragique de son fils, transposé sur le cas d’une jeune fille. La séquence est troublante et magnifique d’autant qu’il rejoue à l’identique les circonstances de l’accident.

Illuminé par quelques moments splendides, notamment une vertigineuse balade à moto qui rappelle beaucoup Rusty James, Twixt n’est pas un chef d’œuvre. C’est un film malade, une série B foutraque, parfois pénible et indigeste, un OFNI à l’esthétique incertaine. C’est parfois d’une beauté visuelle renversante. Mais comme Coppola tente tout, ose tout et n’importe quoi, il manque aussi de discernement. Les choix graphiques orientent parfois le film du côté d’une pub pour parfum de très mauvais goût. L’enchevêtrement couleur et noir et blanc, justifié ou non, me parait parfois à la limite du grotesque. Pas grave, on pardonnera à Coppola ses écarts. Car en ces temps de vache maigre, Twixt est une bluette gothique drôle et émouvante, jamais inquiétante en revanche, qui touche davantage le  cœur que la tête. Les fans de Val Kilmer, s’ils en restent, vont être déçus. Il a beaucoup grossi et ressemble presque à Steven Seagal.

« Twixt » est l’abréviation de « betwixt », un mot archaïque, qui a la même signification que « between », utilisé par nos contemporains anglophones.  « Twixt » signifie « entre ». Et le titre colle parfaitement au film. C’est bien un film, « entre ». Entre le film d’auteur et le cinéma de genre, entre le sublime et le grotesque, entre le rêve et la réalité, entre la bêtise et l’intelligence.

(USA-2011) de Francis Ford Coppola avec Val Kilmer, Elle Fanning, Ben Chaplin


A propos de Manu

Docteur ès cinéma bis, Manu est un cinévore. Il a tout vu. Sorte d'Alain Petit mais en plus jeune, son savoir encyclopédique parle aux connaisseurs de films méconnus. Il habite près de Montpellier où il peut observer la faune locale : le collectif School’s out, l’éditeur le chat qui fume et l’éditeur Artus Films. Avec son air d’Udo Kier, il n’est pas exclu qu’on le retrouve dans une production de genre.

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