L’exercice de l’Etat enfonce peut-être une porte ouverte : nos élites politiques font caca. Le film prétend faire une radiographie du monde politique actuel. Que l’on soit de gauche, de droite ou du milieu, les décisions sont orientées plutôt par un mouvement global, une tendance mondiale, qui donne actuellement la priorité au capitalisme. Mais le réalisateur, Pierre Schoeller, n’est pas vraiment intéressé par la politique, et il se concentre sur les rouages d’un milieu et sur ce qui motive les hommes, là, tout au fond d’eux-mêmes.
Malgré lui, le film est très réaliste. Il prend pour contexte de départ un accident de bus qui transportait des enfants. Il y a des morts, des blessés. Le ministre des transports, Bertrand Saint Jean, est réveillé en pleine nuit pour gérer la crise. Nous le suivons ensuite dans ses activités quotidiennes : salariés mécontents, projet de privatisation des gares sncf, jeux de pouvoir au sein du gouvernement. Avec son équipe de conseillers corvéables à merci, il fait son métier.
Le personnage de la conseillère en communication, omniprésent, est là pour nous dire que la politique est surtout une affaire de manipulation de l’opinion publique. Face aux caméras, les termes sont choisis avec précision, les discours sont écrits avec soin, et Pierre Schoeller nous dit que la réalité est, bien entendu, différente de ce que nous racontent les politiciens. Aujourd’hui, le spectacle du débat politique est devenu tel, que les citoyens ne sont certainement plus dupes.
Si le film fonctionne bien, c’est principalement grâce à Olivier Gourmet, qui interprète un ministre à contre-courant, qui ne fait pas bloc avec son gouvernement mais tente de se battre pour ses convictions. Un comportement admirable mais qui est régulièrement mis à mal tout au long du récit, jusqu’au dénouement assez pessimiste, concluant que tout le bordel politique n’est qu’un vulgaire jeu de chaises musicales. Malgré un physique et un look un peu ingrats d’homme politique coincé, Olivier Gourmet parvient à transcender l’archétype pour devenir une sorte de pote haut placé du spectateur. C’est pourtant Michel Blanc, tout en retenue, qui récoltera le césar du meilleur second rôle.
En alter-ego du ministre, nous avons Kuypers. Chômeur et mutique, l’homme se voit propulser chauffeur du ministre grâce à une initiative gouvernementale. Les deux hommes, appartenant à des milieux opposés, vont sympathiser. On découvrira qu’ils ont les mêmes convictions mais que l’un a choisi l’ombre et l’autre la lumière, ce qui symbolise le rôle de l’élu.
L’aspect le plus intéressant du film est certainement son point de vue cronenbergien du monde politique. Constamment, ces messieurs en costume cravate, évoluant dans un univers éthéré où l’apparence est reine, sont ramenés à une réalité organique. Le sexe fait une brève mais efficace apparition dans la première scène, habile mélange de l’étrange rituel vu dans Eyes wide shut de Kubrick, et du « crocodile et la ballerine » photographiés par Helmut Newton. Le fantasme nocturne révèle que derrière les rideaux de l’Elysée et derrière les oripeaux politiques, il n’y a que des hommes (et des femmes) qui ont leur vie privée et leurs pulsions. Dans cette scène hautement érotique, la femme qui offre son intimité au crocodile, est interprétée par Brigitte Lo Cicero, qui a joué par ailleurs une innocente mère de famille dans une pub pour Volvic. Les filles dans le poste de télé seraient-elles, elles aussi, des êtres humains de chair et de sang ?
On voit le ministre vomir, s’étouffer, fumer, se saouler, bref, tout ce que l’on ne voit pas à la télé et qui touche au corps, à l’intime. Le côté grotesque est toujours montré sans fausse pudeur, et la mise en scène généralement sobre, devient osée lors de ces séquences (la scène choc aux 3/4 du film). Même si Saint Jean évolue dans les plus hautes strates du pouvoir, même si son poste lui permet de bénéficier d’un confort extrême, il reste prisonnier de son corps rempli d’organes et de ses limites, incluant la maladie et la mort.
Sans être révolutionnaire, L’exercice de l’Etat parle de méta-politique, le fait de manière honnête et sans trop faire le malin. Le réalisateur se contente d’observer, de constater, sans chercher à donner des leçons. Une position certes confortable mais qui porte sur un sujet rarement abordé dans le cinéma français.
Réalisé par Pierre Schoeller. Avec Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman, Laurent Stocker. Disponible en dvd et blu-ray chez Diaphana.