Certains films vous hantent à vie. Pas forcément les meilleurs. Et parfois pour des raisons obscures mais intimes. Ceux qui renvoient à vos premiers émois cinéphiliques, qui vous impriment la rétine d’images que vous n’oublierez jamais.
La découverte du haut de mes 13 ans, en rentrant du collège, d’Ames perdues fut un choc total. Et pourtant je ne suis même pas convaincu d’avoir vu le film intégralement quand il passa autour de 17 h sur FR3. Je ne connaissais à l’époque ni Dino Risi, ni Vittorio Gassman. L’image, forte et angoissante de Vittorio Gassman, dévorant une pastèque en s’agitant comme un malade mental dans la pièce où il se trouvait cloitré, m’avait littéralement terrorisé. La révélation finale me perturba pendant des semaines. Pourtant, il ne s’agissait pas d’un film d’horreur mais en apparence d’un drame psychologique plutôt bourgeois.
Mais commençons par le début. Le jeune Tino (Danilo Mattei que l’on croisera dans des bisseries comme Cannibal ferox ou La guerre du fer) débarque à Venise pour habiter chez son oncle et sa tante, un couple austère, marqué par un passé douloureux et sur qui pèse un lourd secret. L’oncle, Fabio Stoltz, est un homme rigide, coincé dans sa morale rigoureuse et terrifiante tandis que sa femme, Elisa, soumise, semble vivre dans la peur. A l’étage au-dessus vit le frère de Fabio, un artiste devenu fou qui vit reclus après avoir causé la mort de Beba, la fille du premier mariage d’Elisa.
Spécialiste émérite de la comédie à l’italienne (Les monstres, le fanfaron, l’homme aux mille visages), Dino Risi a pourtant réalisé ses plus beaux films dans des registres différents. Souvenez –vous de Fantôme d’amour, magnifique romance fantastique ou du poignant Parfum de femmes, splendide mélo désenchanté. Ames perdues baigne dès ses premières images, dans un climat étouffant et morbide. Venise, une fois n’est pas coutume, n’est pas filmé comme dans un dépliant touristique mais comme une cité mortifère peuplée de secrets inavouables. Il plane sur cette ville une tristesse infinie que Risi retranscrit à merveille grâce à une utilisation pertinente de la topographie : rues désertes, devantures sales des habitations, autochtones aux visages ravagés. Rarement un lieu aura projeté sur le spectateur un effet aussi glaçant, une austérité aussi éprouvante. Ensuite, la vaste demeure, tout droit sortie d’un conte de Poe, parait plongée dans un passé glauque. Le poids de l’éducation sous tendu par la religion, les frustrations sexuelles qui amènent ce couple à vivre dans une rigidité morale extrême, nous entraînent dans un univers aussi puritain qu’inquiétant. Bien sûr tout cela n’est qu’une façade dissimulant un mystère. A travers le regard vierge et naïf du jeune Tino, le spectateur découvre un monde peuplé de faux semblants. Angoissant jusqu’à l’absurde, Ames perdues s’empare d’un sujet Buñuellien pour le pousser jusqu’au bout de sa logique terrifiante. Construit comme un pur film de genre, prenant et inquiétant, le film de Risi est aussi une virulente critique des institutions familiales, du poids de l’ordre et de la morale.
Porté par une mise en scène épurée en accord avec le sujet traité et doté d’un twist final qui fait froid dans le dos, Ames perdues est un immense film qui traite de la folie à travers la schizophrénie d’un individu. Vittorio Gassman est extraordinaire tandis que Deneuve dans un rôle très de celui de Tristana, est bouleversante.
(ITA-1977) de Dinoi Risi avec Vittorio Gassman, Catheine Deneuve, Danilo Mattei
Format : 1.85 (16/9). Audio : français, Italien (mono). Sous titres : Français. Durée : 89 mn. Bonus : notes de production, Parlons cinéma : Tonino Delli Colli (chef opérateur), un docu de Carlo Lizzani, Bandes annonces. Edité en DVD par M6 VIDEO (SNC les maîtres italiens)
vu ce film à 18 ans. J’en ai plus de 50 aujourd’hui. pendant longtemps je n’ai plus entendu parler de ce film étrange que je n’avais jamais oublié. l’article de manu me renvoie à ce vieux souvenir et me le fait très exactement revivre. Curieux comme ce film a pu rester gravé!!!!