Dire qu’on s’est tous tapé Danse avec les loups au début des années nonante, alors que si le monde avait été bien foutu, on nous aurait donné à la place Cabeza de Vaca. Il a fallu attendre 2010 pour que ce film mexicain passe en salle en France. Dommage pour nous, qui avons vécu tout ce temps en croyant que les Blancs étaient des bonnes brutes au cœur mou et les Indiens de grands enfants rieurs (un peu comme dans Avatar).
Cabeza de Vaca est un film de 1992 qui aurait pu dater de 1972. S’il devait avoir un grand frère, ce serait le Aguirre d’Herzog. Dans les deux cas on a la bio d’un conquistador XVIè confronté à l’altérité totale : comment il survit, comment il devient fou. Ici et là, la même attention passionnée au décor, à l’action in situ, au portrait d’un monde qui fait tableau : les paysages, les cités, les costumes sont magnifiques. (Notons entre ces parenthèses que c’est le tout minot Guillermo « Hellboy » del Toro qui supervisa les maquillages, absolument stupéfiants – la passion du monstre, déjà – et fin de la). Enfin, dans les deux, une même attraction-répulsion bienvenue pour ces altermondes. La jungle herzoggienne est sublime mais monstrueuse. Les Indiens d’Echevarria sont hiératiques, terrifiants. Le Bon Sauvage n’a jamais existé. Il n’y a que l’Autre, double de cet autre qui est en nous.
Pendant huit ans, le nobliau Cabeza de Vaca va marcher au travers des Florides comme on traverse les Enfers, des planètes inconnues. Il sera esclave et humilié, initié, shaman, il fera des cauchemars, il renaîtra. Ca c’est pour le côté Castaneda, le conte initiatique. L’aspect anthropologique est plus âpre. Les deux-tiers du film sont dialogués en huichol sans sous-titres, inaccessibles. Le spectateur est tout seul, abandonné comme ce pauvre garçon, et entouré de créatures étranges qui le lorgnent comme une bête curieuse. C’est simple mais ça marche, le renversement : pour une fois ce n’est pas « Vénus noire », c’est le Blanc qui est en cage. Et tout cet univers disparu, sinistré, des sociétés précolombienne, est un incroyable univers de science-fiction, où tout est exotique, opaque, incompréhensible.
Il y a beaucoup de choses dans ce film boulimique et trop longtemps invisible : de la musique un peu psyché, des scènes relevant du pur fantastique, quelques plans mégalomaniaques rappelant les riches heures du cinéma soviétique, du jeu d’acteur brechtien à la fois distancié et touchant (épatante métamorphose de la gestuelle du héros), des rêves, un nain sans bras, pas beaucoup de romance mais plusieurs belles amitiés et, surtout, pas un gramme de blabla moralisant sur nos frères sauvages si purs, si simples et si gentils (si niais).
Bref, le voyage vaut le voyage.
Cabeza de Vaca est un film de Nicolas Echevarria réalisé en 1992 et sorti en DVD en 2011 chez ED Distribution. Il dépote.
Voilà un très grand film que je n’ai pas finit de recommander !