Les coréens ont toujours eu un rapport très étrange avec la violence au cinéma. En occident et en particulier chez les américains, la violence est souvent utilisée de manière manichéenne. Les bad guys peuvent être violents mais il est plus rare de voir des gentils distribuer des claques et des coups de poing pour un oui ou pour un non. Dans le cinéma coréen, la violence physique est un vrai mode d’expression, que tous les personnages utilisent. De plus, la société ne semble pas remettre en cause ces comportements.
Première bizarrerie, le personnage d’Hae-Won, une jeune et jolie trentenaire, n’est pas sympa (même si elle boit de la Guinness à la chaîne). Habitant Séoul, elle est un peu surmenée et solitaire, ce qui l’amène à commettre des erreurs professionnelles. Obligée de prendre quelques congés, elle décide de passer une semaine sur l’île où elle a grandi. Là-bas, elle découvre une poignée d’agriculteurs idiots et un groupe de vieilles et vilaines rombières. Bok-Nam, son amie d’enfance, subit les humiliations des villageois et en particulier de son mari, qui n’hésite pas à la battre lorsqu’elle ne s’active pas aux tâches ménagères.
Si au début on suit le point de vue de Hae-Won, le personnage principal devient rapidement Bok-Nam. La première partie du film est un crescendo qui dépeint les relations entre les différents autochtones. Les hommes sont des bêtes, qui chiquent « l’herbe à crétins » et qui rossent leur femme. Les vieilles peaux n’élèvent pas le niveau et cultivent une étrange tradition séculaire à base de misogynie. La violence n’est donc pas frontale, mais insidieuse et psychologique. Ayant passé sa vie sur l’île, Bok-Nam rêve de la ville comme ultime salut, notamment pour sa fille qui ne va pas à l’école.
Le film est dérangeant car Hae-Won, qui devrait pouvoir sauver Bok-Nam de sa pitoyable condition, est une femme passive. Elle représente l’anonymat de la grande ville. Le noyau du film illustre les différents liens entre les habitants. Il y a toute une hiérarchie, un jeu de faux-semblants, cachés derrière cette bande de ploucs. Si au début, ça paraît assez rigolo, on se rend peu à peu compte que Bok-Nam subit en fait une torture mentale et physique, à petites doses, mais sur le long terme. Toute cette rancœur va forcément conduire au tragique. On voit le massacre arriver bien à l’avance (l’affiche spoile bien, en plus) mais ce n’est finalement pas important. Les personnages sont si bien définis, et si bien interprétés, que la vengeance de Bok-Nam reste glaçante et extatique, même si attendue. Le dénouement avec Hae-Won reste cependant incertain. Alors que son amie subit un calvaire, Hae-Won reste de marbre, passe son temps à dormir, à fermer les yeux sur tout ce qui se passe sur l’île.
Le réalisateur, Jan Cheol-Soo, semble avoir été marqué par le travail de Kim Ki-Duk, dont il fut assistant réalisateur sur Samaria. Ki-Duk l’a certainement contaminé avec son goût pour la description d’un contexte social tendu et violent. Derrière l’intrigue, on trouve un discours sur la ville (liée à l’éducation) en opposition à la campagne (où règne l’analphabétisme). Mais ce constat serait trop simpliste. L’auteur critique également l’aveuglement de Hae-Won qui ne voit absolument rien à l’horrible situation de Bok-Nam.
Comme c’est parfois le cas dans les films coréens, le réalisateur ne parvient pas à terminer son film. Il fait une fin, puis une autre, et puis une autre, en passant d’un genre à l’autre (mélo, thriller, horreur !). L’on en arrive à un inutile épilogue qui touche au grotesque. Dommage, car ce film à l’ambiance plus que pesante, devient alors comique à cause de l’absurdité de la situation.
Le blu-ray propose une image un peu trop claire et pas assez contrastée. Cependant, le piqué de l’image permet d’apprécier la nature luxuriante de l’île et son bourg très rudimentaire, et l’on parvient à ressentir avec force l’écrasante chaleur le jour du massacre.
Déjà disponible en blu-ray et dvd chez Distrib Films.
Je pense que la violence du cinéma coréen en général, et particulièrement celle décrite dans la première partie de « Blood Island » (c’est le titre français ça ?), c’est-à-dire avant que ça saigne littéralement, peut et doit mis être en relation avec une compréhension d’une société qui engendre le taux de suicide le plus élevé du monde. Je pense que la violence psychologique et morale que subit Bok-Nam est sans doute en réalité un poil plus subtile (mais juste un poil) et certains de ses aspects peuvent être comparés avec le rôle que nous faisons souvent (le plupart du temps en fait, et même sans le vouloir) endosser aux femmes dans certains milieux/ familles occidentaux ou encore la marginalité que peuvent ressentir les étudiants de milieux défavorisés qui grimpent les échelons sociaux et qui doivent affronter le ragrds désapprobateur de leur famille, de leurs amis de jeunesse). La caractéristique coréenne étant que ces rapports de domination et de violence symbolique sont inscrits dans la langue (on appelle par rexemple les gens en fonction de leur âge par rapport au nôtre, le garçon d’une famille a la totalité de l’héritage familiale (sauf exceptions)
La pression sociale est donc beaucoup plus structurelle et assumée qu’en Occident. La violence qui s’exprime dans le cinéma coréen n’est pas juste autorisée, elle est peut-être bien nécessaire à évacuer un certain stress chez les spectateurs coréens, toujours obligé de « la fermer » (à l’image d’Hae-won au début du film qui ne dénonce pas les agresseurs, même lorsque ceux-ci la menace directement). En effet, je pense que la jubilation que (je suppose) ressent chaque spectateur lorsque Bok-Nam se décide à massacrer tout ce beaux monde est véritablement une tentative d’exorciser la violence réelle, celle qui attend le spectateur, quelle que soit sa nationalité, à la sortie du cinéma.
Bon en fait je viens de vérifier le taux de suicide afin de voir si c’était pas juste un préjugé et il se trouve que la Russie et la Lituanie sont devant, mais les chiffres divergent et ne datent pas tous de la même année. En tout cas, la Corée reste un des pays dans lequel le taux de suicide est le plus élevé. Si ça se trouve les Russes ont fait passer les morts par overdose de vodka frelaté sous le chiffre du taux du suicide (ce qui est quand même différent) ceci expliquant cela…….