Pouvez-vous nous parler de vos parcours respectifs ?
Antoine Blossier (réalisateur et co-scénariste) : Après un bac L option arts plastiques, j’ai suivi des études de cinéma en fac à Paris 3. Les cours y étaient très théoriques et s’intéressaient principalement au cinéma d’auteur et de la nouvelle vague, loin du fantastique, du thriller et de la SF que j’affectionne. C’est là-bas que j’ai rencontré Erich. On était tous les deux assez perdus au milieu de l’élitisme ambiant. Certains cours m’ont quand même sensibilisé au découpage, notamment pour les scènes de suspense et de tension. Après la licence, je suis passé régisseur et assistant mise en scène, essentiellement dans la pub, pendant près de 6 ans. C’est là que j’ai le plus appris. C’est durant un tournage que j’ai rencontré Olivier Oursel, qui était sur le point de créer Quasar Pictures. En parallèle, j’ai développé un court-métrage (NDLR : L’Abominable Malédiction du Peintre Gray en 2004) qui a fait quelques festivals et qui m’a permis de passer réal sur quelques pubs. Lorsque Olivier a appris que Canal+ ouvrait la case « French Frayeur », il m’a proposé de développer un film d’angoisse pour sa production. J’ai proposé à Erich de l’écrire avec moi.
Erich Vogel (scénariste) : Je me souviens, à Paris 3, on se demandait tous les deux ce qu’on foutait là. Il y avait des cours de théorie du cinéma, des cours de théorie de la théorie du cinéma. Quelques bons profs surnageaient, mais c’était assez rare. C’était une bonne planque pour ne pas faire le service militaire. Parallèlement, j’ai écrit beaucoup d’articles pour Mad Movies, Elegy, les éditions Atlas. J’ai essayé d’écrire dans des médias où il y avait moins de théorie et un peu plus de bon sens et d’humour. Après, j’ai fait quelques petits boulots, j’ai été assistant photo dans la mode, puis j’ai réalisé un clip aux États-Unis. Ensuite, j’ai bossé avec Tristan Schulman sur l’émission Frisson Break sur Ciné-Cinéma.
Pourriez-vous nous parler de l’écriture du scénario ?
AB : Au départ, nous étions partis sur une histoire de maison hantée, donc rien à voir avec Proie. Avec Erich, nous nous sommes isolés dans une maison de campagne pour y réfléchir. Au final, nous nous sommes rendu compte que la campagne française, en période automnale, pouvait être aussi flippante que le Texas de Massacre à la tronçonneuse ou que le Maine de Stephen King. En plus, des chasseurs aux alentours nous empêchaient de nous concentrer en tirant dans les bois à côté de la maison. Nous sommes donc partis sur un postulat extrêmement simple : un film de monstres dans lequel une partie de chasse tourne mal. Nous avons résumé l’histoire et les ambitions sur quelques pages, ce qui a convaincu Olivier Oursel de nous le développer. L’écriture fut ensuite très longue pour plusieurs raisons. D’abord, nous tenions à faire un survival crédible dans un contexte français, ce qui n’est pas aussi aisé qu’il n’y paraît. Ensuite, nous ne voulions surtout pas prendre pour acquis tous les codes du survival, notamment vis-à-vis des personnages que nous voulions denses. Enfin, il a bien fallu réécrire pour des raisons budgétaires, ce qui a finalement été bénéfique puisque nous avons gagné en efficacité.
EV : Ça a été assez long, près de deux ans de développement. Sans doute parce qu’il y a assez peu de personnages et que l’action vient aussi beaucoup de conflits internes. L’univers du film était assez dense et donc assez long à détailler. L’origine des monstres, les histoires antérieures de chaque personnage avaient une importance énorme sur le déroulement de l’histoire. De plus, on voulait une forêt assez typique, ne pas tricher avec des éléments du décor qui nous arrangeaient. Le rapport créateur/créature est un truc qui m’a toujours fait rêver au cinéma. Faire ça en France était assez excitant, même si on a du, pour des raisons budgétaires, se calmer sur la gestation, la mutation et l’exposition des monstres. Du coup, on s’est resserré sur les personnages, ce qui a permis de très bien les connaitre, ce qui n’est pas plus mal.
Le projet a-t-il été dur à monter ? Concrètement, comment fait-on pour monter un film « d’agression animale » en France ?
AB : Disons juste que « faire un premier film »… « de genre »… qui plus est d’« agression animale »… et « en France » n’est pas forcément la chose la plus aisée à faire. Concrètement, nous avons été suivi dès le départ par Canal+ qui a donné les premiers financements. Après, les sources de financement furent plus compliquées à trouver, tout simplement parce que ce genre de film n’est pas habituel dans le paysage français, ce qui suscite certaines craintes légitimes de la part des investisseurs. Nous avons eu la chance d’intéresser Rezo Films pour la distribution. Le financement a été long et difficile. Grâce à la persévérance des producteurs, nous avons fini par boucler le budget, juste quelques semaines avant le début du tournage.
EV : Il faut être un peu taré… Tous les gens qui font du film de genre en France savent que c’est un risque à prendre. On partait avec toutes les chances contre nous. Mais personnellement, c’est ces films là que j’aime voir en salles. Ceux qui semblent sortis de nulle part, pas ceux qui essaient de calculer de façon hystérique un succès. S’il n’y avait pas eu Canal+, Rezo et l’envie du producteur Olivier Oursel de faire un film de genre, le film n’aurait eu aucune chance d’être fait en France.
Quel était le budget de Proie ? Était-il adéquat par rapport à vos aspirations ?
AB : Le budget de Proie tourne autour des 2 millions d’euros. Bien évidemment, j’aurais aimé avoir plus. Mais au final, je ne suis pas aussi frustré que ce que j’aurais pensé. Certes, nous étions bien plus ambitieux au départ. Certaines scènes très épiques resteront hélas dans les tiroirs. De plus, la mise en scène n’est pas aussi ample et aussi fluide que je l’aurais voulu. Maintenant, je ne me plains pas. Je pense avoir été exactement dans le même cas que tous les réalisateurs qui font un premier film de genre en France. Au final, comme dit plus haut, je pense que le manque d’argent m’a permis d’avoir des idées plus radicales sur le scénario et la mise en scène, ce qui m’a permis de me recentrer sur la narration et d’être le plus efficace possible.
Quelles ont été vos influences directes ou indirectes sur le film, de l’écriture au tournage proprement dit ? J’imagine bien que vous avez ressorti le DVD de Razorback en cette occasion.
EV : Pas du tout. J’ai jamais aimé Razorback. Le film est éclairé comme un clip de Duran Duran. J’ai rien contre le film, mais il ne m’a jamais fait peur ni intrigué. Antoine et moi, on aimait surtout Cujo de Lewis Teague, on se refilait la vidéo cassette et on se le matait tellement qu’elle devenait irregardable. Par extension, tous les romans de Stephen King aussi. Et absolument tous les films de monstres possibles et imaginables, de La créature du lac noir à Relic en passant par Tremors jusqu’à The Descent !
AB : Pour être honnête, je ne suis pas un grand fan de Razorback. Il faut dire que je l’ai vu très tard. Razorback est un film marqué par les codes visuels de son époque. Il est très « années 80 ». Avec Erich, nous l’avons revu par acquis de conscience durant la phase du scénario, mais je n’ai plus jamais ouvert le boitier du DVD depuis. Les influences sont assez diverses au final : elles viennent aussi bien de films de monstres comme The Descent ou Cujo que de films français comme La traque de Serge Leroy ou certains Chabrol. Pour l’efficacité proprement série B, j’ai cherché du côté de John Carpenter ou de Walter Hill. Ensuite, Les Dents de la mer est sans aucun doute le film que j’ai le plus regardé pour Proie, notamment pour l’incroyable capacité de Spielberg à filmer des scènes d’agression et de tension sans jamais montrer le requin. Lors du scénario, Erich et moi tentions d’élaborer des scènes se déroulant dans des décors susceptibles de cacher les bêtes. En gros, nous avons remplacé la mer par la végétation de la forêt…
En parallèle du survival, Proie est un récit confrontant des hommes qui ne peuvent s’entendre et la crédibilité globale repose énormément sur ce point. Pouvez-vous nous parler de votre travail avec les comédiens ?
AB : L’idée était de rendre l’histoire crédible, que le spectateur puisse se dire que l’action pouvait se dérouler pas loin de chez lui. Pour ça, comme dit précédemment, Erich et moi avons décidé de ne pas tomber dans le stéréotype d’une bande de jeunes qui courent en hurlant dans les bois. Nous avons abordé le thème de la chasse par son aspect traditionnel et familial. De plus, nous tenions que l’attaque du groupe par les bêtes révèle les tensions entre les personnages. L’urgence du moment a fait qu’hélas, je n’ai pas pu faire de vrai préparation avec les comédiens du film. Seules Bérénice Béjo et Isabelle Renaud ont été impliqués très tôt dans le projet. Pour des raisons diverses, les autres acteurs ont étés choisis très tard. Je savais parfaitement quel était l’état émotionnel de chaque personnage à chaque scène. Avec Grégoire Colin, nous avons fait de longues lectures du scénario pour que l’évolution de son personnage soit crédible. Ce qui m’a surpris sur le tournage, c’est la façon dont François Levantal et Joseph Malerba ont abordé la relation de « frères ennemis » qu’Erich et moi avions écrit. Ils y ont mis une forme d’humour qui, je trouve, renforce ce qui était au départ sur le papier.
Une sensibilité française réside dans de nombreux éléments : la ruralité, le conflit familial, les « tronches » typiques. Si je peux vous faire un compliment, j’ai trouvé que ce métissage entre le film de série B des années quatre-vingt (terme non péjoratif) et une sensibilité française sonne juste et cet équilibre est dur à obtenir. Comment avez-vous géré cet aspect ?
AB : Merci. En fait, tout est parti de notre idée initiale, à Erich et à moi, d’aborder la campagne française comme Stephen King aborde le Maine. Erich et moi, nous voulions vraiment rester français. Pas franchouillards ; français. Nous avons tenté de raconter une histoire très française avec l’efficacité narrative d’un film américain. Après, la démarche a été la même durant toutes les phases de production du film.
EV : Fallait voir ce qui était propre à la France avant de considérer les références américaines. La forêt française, ça peut être quelque chose d’effrayant. La chasse est une tradition du pays. L’idée, c’était avant tout de faire un film d’horreur français, pas un ersatz de film américain avec des adolescents qui courent pour échapper à un tueur. On l’aurait obligatoirement moins bien fait que les américains, parce qu’on n’aurait pu l’ancrer dans aucune réalité crédible.
Les sangliers entrent en action grâce un ensemble de techniques variées, de la plus artisanale à la plus complexe. Je crois que vous avez utilisé une centaine de plans numériques invisibles ?
AB : Oui, mais peu pour les sangliers au final, si ce n’est pour les rendre moins mécaniques dans leurs mouvements. De plus, nous leur avons rajouté de la bave et du sang, de même que nous les avons rendus plus vivants en corrigeant leurs yeux. Sinon, les techniques de mise en action étaient effectivement variées. Nous avons beaucoup utilisé la végétation et les différents décors pour suggérer les bêtes. De plus, le travail sur le son en post-production a été très important pour appuyer la présence des agresseurs. Les ombres ensuite dans certaines scènes. Et l’obscurité, bien sûr. Au final, le film comporte beaucoup de techniques issues des films de monstre depuis le début du cinéma. Pour ce qui est de la représentation des bêtes, j’ai eu la chance de collaborer avec Pascal Molina sur les animatroniques et les effets de plateau.
Vu le tournage en forêt et le sujet, le film a sans douté été éreintant. Avez-vous le souvenir d’une journée particulièrement ardue ?
AB : Oui, le tournage a été très dur physiquement mais en même temps, cette urgence, ce manque de moyens et ces conditions difficiles ont permis de souder l’équipe, ce qui était très appréciable. Je me sais très chanceux d’avoir eu une équipe technique aussi enthousiaste et porteuse. La journée (ou plutôt la nuit) dont je me souviens le plus, est celle où nous avons tourné l’accident de voiture, qui demandait du jeu de comédien, de la cascade et des effets spéciaux de plateau, le tout en plan séquence et en décor naturel. Grâce à l’extrême efficacité de l’équipe, tout s’est très bien passé. Je me suis écroulé après cette nuit tellement la tension avait été grande et tellement j’étais rassuré. Autant les comédiens que l’équipe technique ont été parfaits cette nuit là.
Quel était pour vous le plus grand défi à relever pour le film ?
AB : Au final, le plus grand défi était de rendre ce film de monstres crédible dans le paysage français.
EV : Juste écrire une série B dynamique et efficace, entre le film de monstres et le film d’aventures.
Une question un tantinet provocatrice : ne pensez-vous pas que le cinéma de genre français reste bloqué (en bien ou en mal) trente ans en arrière, qu’il reste centré toujours autour des mêmes références ? Le Carpenter des décennies 70/80, le Hooper de Massacre à la tronçonneuse, le McTiernan de Predator et de Piège de cristal… C’est un cinéma que j’affectionne également, mais ces références constantes ne vont-t-elles pas faire tourner le cinéma de genre hexagonal en rond au bout d’un moment ?
AB : Vous avez sans doute raison. En même temps, quand on voit tous les remakes américains de Carpenter, qu’il s’agisse d’Halloween, de Fog ou bientôt de The Thing, sans compter ceux de Predator, de Freddy et de Massacre à la tronçonneuse, il me semble que nous ne sommes pas les seuls à rester bloqués. Maintenant, c’est vrai que les scénaristes et les réalisateurs français, je m’inclus dedans, ont cette tendance à légitimer leur film en citant les hommages et les références des longs-métrages qu’ils ont vus étant ados. Après, je ne sais pas si ça va faire tourner le cinéma de genre français en rond. Je pense qu’il faut du temps pour digérer les influences.
EV : Si, sans doute, mais c’est un peu normal. On est tous des enfants de ces films-là. Et comme il n’y a pas eu de film de genres en France depuis très longtemps, on revient vers ces sources et on les utilise comme des bases. On peut pas nous reprocher d’aimer Carpenter et McTiernan, c’est quand même des réalisateurs incroyables. L’autre jour, je regardais Story of Elvis, un téléfilm que Carpenter a fait sur le King, et même ça, ça tue. Carpenter et McTiernan, c’est un peu les derniers grands, non ?
Quels sont vos projets actuels ou à venir ?
AB : Je travailler sur un projet qui n’est pas au sens strict un film de genre. Le prochain sera sans doute plus ouvert que Proie.
EV : Un remake de La soupe aux choux avec Danny Trejo !
Propos recueillis par Udéka.
Remerciement spécial à Nosfé.
Ça
Bon papier, excellente serie B ( pour toutes les bonnes raisons que les auteurs évoquent dans l’interviouve ) …. J’attends avec impatience le remake de la soupe au choux