Simon Werner a disparu… 1


Septembre 1992, dans une banlieue pavillonnaire parisienne, des lycéens font la fête avant de découvrir un corps, apparemment sans vie, dans la forêt. Est-ce celui de Simon Werner, leur camarade de classe disparu dix jours auparavant ? Est-il bien mort et, dans ce cas, que lui est-il arrivé ? A-t-il fugué, s’est-il suicidé, s’est-il fait assassiner ? Ce n’est qu’en suivant sa route et celle de ces camarades que nous le découvrirons.

Sortie le 22 Septembre 2010.Sélection UN CERTAIN REGARD, Cannes 2010

Un film de Fabrice Gobert avec Jules Pelissier, Ana Girardot, Arthur Mazet, Laurent Delbecque, Serge Riaboukine, Laurent Capelluto, Yan Tassin, Selma El Mouissi, Esteban Carvajal-Alegria et Audrey Bastien.

Quand on a environ le même âge qu’un réalisateur qui entend faire de son adolescence le matériau de son cinéma, on s’attend à trouver dans son film quelque chose de soi, aussi lointain soit-il. Et même, on redoute le contraire : et si les personnages ne nous rappelaient rien? Mais, très vite, si l’on a pas passé cette époque dans un lycée de banlieue parisienne cossue, dans l’entre-soi des visages pâles peuplant les pavillons, on constate que cette jeunesse là n’était pas la nôtre et l’on ne s’étonne pas que le hip-hop soit entré dans Paris par d’autres lignes de RER, en évitant soigneusement leurs jardinets. En revanche on s’interroge sur l’absence de Nirvana dans une bande-son rock réussie pilotée par Sonic Youth – pas de grunge donc, quelques anachronismes mineurs mais flagrants, des jeunes qui ne connaissent ni l’acné ni la cigarette ni les cheveux longs gras, ne sèchent pas les cours et fument très peu de drogue : on comprend que Simon Werner a disparu… n’entend pas faire œuvre de réalisme sociologique, qu’il tente de parler de l’adolescence autrement, au plus prêt de personnages en quête d’identité pris dans un récit dont la temporalité est suspendue. Du coup, on peut se laisser aller à suivre cette histoire comme si elle nous parlait d’étrangers. Le regard du spectateur est libéré, il ne cherche plus sa jeunesse dans le film de Gobert, mais quelque chose de l’adolescence en général que pourrait nous dire la fiction.

Gobert met en place un double dispositif, articulé sur sa propre conception des genres. Chaque personnage est en effet inspiré d’un stéréotype subvertit de teen movie, le genre premier du film. Puis chaque segment du film, segment qui reprend la même période de quelques jours du point de vue d’un des quatre protagonistes principaux, est traité au long de variations de genres pensées en rapport avec la subjectivité du dit personnage (romance, polar, épouvante) et filmé de manière différente.

Un film référencé, donc et, en effet, il est difficile de ne pas penser à Elephant (chronologie éclaté, travelling éthérés) ou à Twin Peaks (inquiétante étrangeté d’une banlieue que le réalisateur a voulu la plus proche possible visuellement de l’Amérique). La démarche de Gobert consiste en effet à filmer d’abord du point de vue de personnages qui essaient eux-mêmes, et sans succès, de se modeler sur les stéréotypes du teen movie, du sportif à la bombe en passant par le rigolo de service : mais « le sportif à la jambe dans le plâtre, le comique est drôle malgré lui, l’intello est mauvais en maths, la jolie fille est une cérébrale… »

Dans la tendance actuelle qui veut rapporter toute tentative cinématographique à un arrière-monde de références cools censément partagés par la génération qui compte (les trentenaires), Gobert choisit donc la voie du cynisme : c’est comme s’il nous disait « regardez, je joue avec des clichés, mais, ah ah, je sais que ce sont des clichés et je vais en faire autre chose ». Malheureusement, sa tentative de subvertir les poncifs, si elle a le mérite de ne pas mener à leur simple reconduction à l’identique, n’accouche que d’une profonde vacuité, d’un film boiteux aussi profond qu’une dissertation de philo médiocre. En voulant vider les clichés de leur substance, en les empêchant de fonctionner comme moteurs d’une histoire, sans doute navrants mais résolument efficaces, il arrache aussi toute vie à ses personnages qui sont moins en quête d’identité que vides de personnalité.

En conséquence, on se moque assez rapidement de ce qui peut leur arriver, on peine à ressentir quelque émotion face à ces banales histoires de tromperies, de marginaux malheureux, et même de disparitions. Et, loin d’exprimer la subjectivité, les fantasmes, les tourments intérieurs des personnages (malgré quelques tentatives timides de changer certains dialogues en fonction de qui les perçoit), le regard vide que les protagonistes portent sur la situation dans chacun des segments s’efface derrière de simples procédés filmiques (cadrage classique, gros plans, plans larges, caméra embarquée) réduits à leurs seules dimensions formelles.

La déconstruction en genres ne fonctionne pas non plus d’un point de vue narratif : ainsi, si les deux premiers segment servent à poser un ensemble de questions et à ne fournir que des rumeurs comme réponses, à poser un mystère et à souligner que les apparence sont trompeuses, on comprend bien vite que les segments suivants vont y répondre et rétablir ainsi le cours normal de la vérité, celle du scénariste. Dès lors, le doute s’étiole peu à peu, l’inquiétude est absente, le discours sur la nature trompeuse des apparences est contredit par le procédé cinématographique choisit puisque le film va s’acharner à nous donner à voir ce qui s’est réellement passé, à dévoiler son propre mystère jusqu’à l’anéantir. Et, pour maintenir une part d’inconnu, forcer le suspens, le réalisateur ira jusqu’à sombrer dans la malhonnêteté narrative : quand on prétend résoudre un puzzle chronologique par la succession de point de vues différents sur l’action, il est en effet un peu cavalier de se permettre de couper certaines scènes dont le protagoniste central du segment est le témoin pour se garder un twist, qui plus est déceptif, sous le coude.

C’est peut-être un détail mais la « révélation » en question touche à un autre élément étrange du film de Gobert : le rapport des adolescents aux adultes en général, aux professeurs et aux parents en particulier. Car, en effet, les relations entre les jeunes et leurs familles sont étonnement anesthésiés : les parents sont certes considérés par leurs enfants comme « relous », mais on peut se demander pourquoi. On ne cesse ainsi d’attendre que le film dérape, que ce décor de pavillons rendu inquiétant par le chouette travail d’Agnès Godard, libère ses horreurs intimes, que la référence à Twin Peaks ne se résume pas à ses quelques plans de forêts agitées de lampe-torches ou de rues chichement éclairées. Et puis non : Simon Werner a disparu… réussit l’exploit de dédouaner la famille de la violence : quand elle survient, enfin, c’est d’un en-dehors absolu, d’un extérieur monstrueux complètement étranger à ces petites vies exsangues de la normalité pavillonnaire. Et pourquoi pas, si la violence et la mort comme événements étaient l’occasion pour ces personnages vides de faire enfin une expérience autre que celle du bavardage creux sur ce qu’ils ne savent pas. Mais rien ne semble pouvoir les affecter et la brutalité sans cause n’est pas ici l’occasion d’une explosion, d’un déchaînement : le deuil est clôture, fin des questionnements, retour à l’entre soi de la communauté banale où chacun à sa place – retour au vide, donc.

Peut-être est-ce là le message que veut nous faire passer Gobert : que, là-bas, entre les jardinets des maisons clones, il ne peut jamais rien se passer. Et peut-être alors, qu’après tout et malgré lui, Simon Werner a disparu… est un film plus inquiétant qu’il n’y paraît.


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