Captifs, de Yann Gozlan


Mathias (Eric Savin), Samir (Arié Elmaleh) et Carole (Zoé Félix) rentrent d’une mission humanitaire dans les Balkans. En chemin, ils tombent dans une embuscade et se retrouvent prisonniers dans des cellules sales, dans la cave d’une ferme isolée où on les soigne et les nourrit. Que leurs veulent leurs ravisseurs ? Parviendront-ils à leur échapper, à survivre ?

Yann Gozlan a tourné Captifs en six semaines, avec peu de moyens, dans l’intention de réaliser un film de genre, un « thriller horrifique », efficace et sobre qui repose moins sur les effets gratuits et autres démembrements que sur la tension provoquée par l’enfermement, sur une ambiance inquiétante dont les spectateurs, comme les personnages du film, ne puissent s’échapper.

De fait, Captifs est un film honnête : pas de second degré cynique, pas de décalage pour branchouilles, même les citations (Gray, Polanski) passent sans faire jeune péteux – le film va droit à son objectif, assume son classicisme et ses références sans prétention. Ainsi, Gozlan nous sert une histoire filmée de manière simple, une photo qui joue sur les noirs et la lumière, des gros plans sur des visages terrifiés, un montage parfois maladroit mais qui a le mérite d’en faire rarement trop. Le fan de films de genre sera lors tiraillé entre le plaisir de la reconnaissance, la sensation qu’on s’adresse à lui dans un langage qu’il maitrise, et l’ennui de la réminiscence, l’impression désagréable, à presque chaque plan, d’avoir déjà vu tout ça par ailleurs et d’être abreuvé de poncifs.

Captifs ne se démarque que dans le traitement du son : l’ambiance est bien plus souvent construite par les échos inquiétants de ce qui se passe hors champ et Gozlan s’affranchit parfois, trop rarement sans doute, du crin-crin en staccato du violon annonciateur de drame pour nous coller aux sensations de ses personnages, pour nous faire entendre ce qu’ils entendent. Ce dispositif est assez efficace, notamment lors de la scène d’enlèvement, dont le début en son subjectif rompt de manière sympathique avec le tintamarre habituel de telles séquences. Certes, Gozlan n’est pas le premier à faire ça, mais il a trouvé ici une forme adéquate à son propos, une réponse efficace à la question de l’immersion. Reste à savoir si cette problématique est une problématique de cinéma ou devrait rester une question de jeux vidéos. Mais, quoiqu’il en soit, Gozlan à le mérite de nous la jouer à l’économie, de ne pas essayer, tout au long de son film, de nous faire sursauter à tout prix, à grands renforts de caméra qui tressautent et d’agressions sonores.

Là où on le suivra pas, en revanche, c’est sur cette idée d’un film d’ambiance, tendu, claustrophobique. Gozlan a déclaré vouloir faire un film sobre, se priver de la facilité de déverser sur le spectateur des seaux d’hémoglobine, vouloir faire « réaliste ». Or, malgré lui, le réalisateur, pour nous faire peur, tombe parfois dans l’esthétique de l’étal de boucherie et ce, sans jamais convaincre : d’un côté il ne va pas assez loin (la scène de viol avortée, par exemple), d’un autre il frôle le grotesque.

En outre, comme le scénario tient à son pitch, et qu’il n’a pas eu le cœur de réaliser un film où il ne se passe rien pendant une heure et demi, Gozlan s’est cru obligé de nous servir le lot habituel de péripéties propres au genre et qui fleurent bon le cliché. Volonté de meubler le vide de la captivité par des rebondissements qui va à l’encontre même de l’idée qu’on peut se faire d’un film sur la claustration, la solitude de l’incarcération, l’attente terrifiée d’un destin tragique impossible à imaginer – pire, on nous explique, et aux personnages, bien trop rapidement ce qu’il en est vraiment des causes de l’enfermement. Du coup, la question de la captivité est totalement désamorcée pour se réduire à une simple quête de survivance, une évasion du repaire des grands méchants de plus, dont certains éléments sont de l’ordre du cliché le plus éculé (note pour les bad guys : n’hésitez pas à serrer plus fort les liens de vos victimes, ne laissez pas trainer d’objets pointus à portée de main et, surtout, souvenez-vous de vos études de médecine avant de faire le geste qui tue).

De plus, la tentative d’approfondir le personnage de Carole en la dotant d’un passé traumatique qui occasionne chez elle une peur panique des chiens ne sert à rien : outre que, des molosses d’attaque, ça fout suffisamment la trouille comme ça sans avoir besoin de faire de Carole une phobique, son angoisse ne donne lieu qu’à une péripétie inutile et à une résolution moisie.

Bref, si c’est un film sur la captivité que vous désirez aller voir, Captifs n’est pas ce film. Par contre, c’est un petit survival très classique, dans la forme et dans le fond, qui se laisse regarder. À condition, bien entendu, de se mettre la tête et les tripes en veille : pas parce que Captifs n’est qu’un film de divertissement, ce qui est une raison tout à fait honorable de faire du cinéma, mais parce que, comme tout film horrifique, Captifs joue avec une forme spécifique de la peur, incarnée dans des figures bien précises, et qu’on pourra trouver légèrement déplaisants les choix de Gozlan à ce sujet.

En effet, ce qui est censé faire peur dans Captifs ce sont les chiens… et les bouseux des Balkans. « Même si le film n’a aucune prétention politique, [biiip*] m’a semblé être un cadre intéressant pour cette histoire. Pas de monstres, pas de psychopathes, juste une réalité réellement effrayante. » nous dit le réalisateur dans le dossier de presse. « En revanche, je refusais toute psychologie pour les méchants. », ajoute-t-il plus loin. Des méchants sans psychologie ne sont certes pas des psychopathes (qui eux, ont de la personnalité) et, si nous accordons à Gozlan qu’ils ne sont pas non plus des créatures monstrueuses, la seule alternative qui nous reste est de les considérer comme des animaux… Et, de fait, les kosovars de Gozlan, violeurs en puissance, qui vous pissent sur la gueule pour vous humilier, sont traités comme les chiens : sauvages, hargneux, privés de langage (leurs dialogues ne sont pas traduit, pour cause de réalisme). Et, comme des animaux enragés, on peut les tuer de manière dégueulasse. Et comme des animaux, ils nous terrifient parce que nous n’avons rien en commun avec eux, qu’ils nous sont, irrémédiablement, étrangers. Et ce n’est pas le personnage de la victime locale dont on se fout éperdument, qui n’est pas objet de pitié mais bien d’angoisse pour Carole, ni celui de la gentille gamine qui compenseront ce sentiment (les kosovars, c’est comme les bergers allemands : quand ils sont petits, ça va, c’est après qu’ils mordent). Et vive la « réalité réellement effrayante ».

« Ça sert à rien de vouloir des choses exceptionnelles en terme de filmage si ce que tu racontes n’a aucun intérêt », nous dit Yann Gozlan dans une interview à 1kult. Certes. Mais à quoi ça sert de faire des choses très habituelles en terme de filmage si ce que tu racontes est juste craignos ?

Captifs sort en salles le 6 octobre 2010.

*Ce biiip vous est offert gracieusement pour éviter de vous spoiler le film. Merci qui ?

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