DUEL AU COUTEAU
Contrairement à La ruée des vikings, Duel au couteau n’est pas un véritable film de vikings. Certes, on y croise un Drakkar peint en arrière plan, les costumes colorés et pittoresques font songer à l’univers codifié de ces bandes exotiques et l’intrigue, prenant sa source dans la tragédie, ne se démarque guère, en apparence, d’un Erik le viking de Mario Caïano.
En fait, Duel au couteau est un western. Il s’agit même d’un remake déguisé de L’homme des vallées perdues de Georges Stevens. La magnificence des décors naturels, les duels figés aux couteaux, le village des vikings ressemblant comme deux goûtes d’eau à un fort, et enfin, le final, ou Rurik, s’éloigne sur son cheval à l’horizon tel un desperado, place d’emblée le film du côté du western, genre qui avait pourtant bien peu inspiré le cinéaste avec ses deux tentatives précédentes (les médiocre Arizona bill et Roy colt).
Le prologue débute par une prémonition débitée par une magicienne au bord de la mer. Elle annonce une série d’évènements à Karin et à son fils qui vont effectivement se dérouler sous nos yeux. Cette intrusion d’un fantastique imagée par la présence de la magicienne sera absente durant tout le métrage, hormis dans un final homérique qui se déroulera dans un décor fantastique, peuplé de couleurs bleues et rouges, de cadres dans le cadre, de brouillard plongeant nos héros dans un autre monde. Cette brusque échappée du côté de l’onirisme constituera le seul encart à un film d’aventure émouvant et dénué de tout artifice. Mario Bava, par sa fameuse interlocutrice, ne cherche pas à surprendre le spectateur. Son récit est très classique mais solidement écrit.
Ce qui étonne dans Duel au couteau est la simplicité du dispositif, l’aspect candide d’une mise en scène raffinée et sans fioriture. Tourné en moins de 6 jours avec un budget dérisoire, Duel au couteau joue merveilleusement de son économie. En trois plans, Mario Bava parvient à déifier un décor, insuffler une émotion à un acte du quotidien, rendre palpitante la moindre bagarre. Pourtant le style du cinéaste est nettement moins baroque et sophistiqué que d’habitude. La mise en scène est d’une limpidité quasi-élégiaque. Pour la première fois, Bava filme presque exclusivement en décor naturel. Les paysages splendides insufflent au récit un lyrisme et une sensibilité assez inhabituels chez l’auteur de 6 femmes pour l’assassin.
Duel au couteau est sans doute l’ultime film de Bava déployant autant d’humanité. Ce film d’aventures minimaliste est aussi une quête initiatrice où un père de substitution enseigne les valeurs nobles à un jeune garçon, attendant le retour improbable du vrai père. Bava filme des actes journaliers avec un vrai sens du détail et une légèreté presque printanière. Ces très belles séquences rappellent l’humanisme cher à Ford ou, plus surprenant, certains fragments poétiques des Fraises sauvages d’Ingmar Bergman.
En contre point, Bava n’hésite pas à infliger au spectateur des scènes de cruauté très graphiques (le fameux poignard traversant le cou, les deux têtes coupés jonchant le sol). Dans ce va-et-vient entre barbarie et émotion, il est évident que le cinéaste ait cherché à retrouvé le souffle épique des westerns hollywoodiens des années 50.
Oeuvre transitoire dans la filmo de l’auteur, Duel au couteau est un très beau film d’aventure flamboyant et intimiste, qui se boucle par un épilogue magnifique. La belle Karin, qui retrouve pourtant son mari, n’a d’yeux que pour Rurik, héros déchu, condamné à errer dans les limbes du purgatoire, tel un cow-boy solitaire. La flamme érotique qui brûle dans les yeux de Karin transperce l’écran avec une force incroyable. Seuls les grands artistes arrivent à nous toucher avec si peu. Mario Bava en fait partie.
(ITA-1966) de Mario Bava avec Cameron Mitchell, Fausto Tozzi, Elissa Pichelli, Giacomo Rossi-Stuart
Editeur : Carlotta Films. Durée : 85 minutes. Image : 2.35 respecté – 16/9 compatible 4/3. Audio : mono. Langues : italien. Sous-titres : français
Bonus : un western viking, entretien avec Jean-Pierre Dionnet (12 min 22 sec); bande-annonce (1 min 31 sec)
