TROIS DVD DE MARIO BAVA
Le très sérieux éditeur dvd Carlotta exhume, pour le plus grand plaisir des cinéphiles, trois perles signés Mario Bava. Qu’un éditeur aussi prestigieux décide de sortir des films jadis considérés comme du cinéma de seconde zone tout juste exploitable dans les salles de quartier, est plutôt réconfortant. Aujourd’hui, Mario Bava n’est plus considéré comme un artisan du bis mais bel et bien comme un grand cinéaste avec des obsessions, des thématiques, une vision globale du monde. Mais par rapport à un Pasolini ou un Antonioni, l’auteur du Masque du démon n’a jamais eu réellement conscience de son génie. Il s’est toujours défini comme un artisan. Son attitude humble, trop humble même, lui a certainement joué des tours. Avant de réaliser officiellement son premier film (Le masque du démon), il s’est retrouvé dans la position délicate de terminer un nombre conséquent de films, voire de les retourner de A à Z. C’est ainsi que notre cher Bava, crédité comme directeur de la photo, se trouve être le co-réalisateur officieux de La bataille de Marathon de Jacques Tourneur, Caltiki de Riccardo Freda, Esther et le roi de Raoul Walsh, Ulysse de Mario Camerini et … Les Vampires de Riccardo Freda, une des trois sorties qui nous intéressent.
LES VAMPIRES
D’un point de vue historique, Les vampires demeure un moment-clé du cinéma populaire. Il marque la naissance ou plutôt le renouveau du fantastique européen. Cette incursion dans un genre peu prisé en Italie, dominé dans les années 50 par les péplums, les comédies et le néo-réalisme, paraît au demeurant relativement sage. Le goût du macabre, les obsessions nécrophiles, l’érotisme morbide des deux cinéastes sont, en partie, absents de cette belle relecture du destin de la Comtesse hongroise Elisabeth Báthory, célèbre meurtrière accusée de torture et de meurtre à l’encontre de nombreuses jeunes femmes.
Des femmes, belles et jeunes, sont assassinées par un mystérieux tueur. Détail curieux: elles sont vidées de leur sang. Pierre Lantin, un journaliste ambitieux et idéaliste, mène l’enquête. Prostrée dans son immense château, la duchesse Marguerite ne serait pas étrangère à ces étranges meurtres.
La rigueur feuilletonesque du déroulement du récit, proche d’un Belphegor de Claude Barma, est en adéquation avec une mise en scène épurée et gracieuse, privilégiant les beaux cadrages, les images soignées et la fluidité du montage aux détriments des débordement graphiques et plastiques qui feront la célébrité des meilleurs artisans du bis des années 60.
Mario Bava et son décorateur ont du prendre plaisir à recréer un Paris de carte postale, idyllique et surannée, alors que tous les extérieurs ont été filmés en Italie dans les vestiges d’une arène romaine. Un tour de force technique qui met en exergue l’efficacité du futur réalisateur de La baie sanglante. Avec deux ou trois maquettes et des éclairages lumineux, Mario Bava accomplit des prouesses pour nous plonger au cœur de la capitale. Toutes les scènes de jour en extérieur baignent dans un climat presque jovial et serein, retrouvant l’atmosphère cinégénique de certaines productions françaises des années 50 se déroulant à Paris.
Encore peu enclin à la perversité et au sadisme, Riccardo Freda et Mario Bava s’engagent, dans un premier temps, dans une direction plus légère afin de contourner la censure drastique de l’époque. Mais plus l’action se resserre, les lieux se réduisent, les extérieurs disparaissent, bref plus la vérité approche, plus l’ambiance prend une tournure anxiogène et morbide. Les déambulations de la duchesse vêtue de noir dans le château offrent des moments clés aussi inquiétants que poétiques, de par la splendeur des images, magnifiées par un décor gothique, du plus bel effet. La fameuse transformation de la nièce de la comtesse marque encore les esprits. A l’époque tout le monde se demandait comment Bava avait réussi un tel effet. Sans rentrer dans des considérations techniques (vous avez l’explication dans les Bonus), il s’agit juste d’un truc de chef op avec la lumière et les couleurs.
Une question se pose quant à la paternité réelle du film. Qui a réalisé quoi ? Pour la petite histoire, Riccardo Freda quitte le tournage au bout de deux semaines. Mario Bava, directeur de la photo, reprend les reines mais doit terminer le film en deux jours avec une équipe technique très réduite. Ce handicap majeur ne nuit pourtant pas à la cohérence de ce beau film fantastique.
Sans être parfait (dialogues inutiles et encombrants, quelques problèmes de rythme interne), Les vampires, par ses thèmes déclinés, ses nombreux rebondissements et son approche moderne du genre, peut se vanter d’être le digne précurseur de quelques chefs-d’œuvre à venir : Le moulin des supplices, L’Horrible docteur Orloff, Les yeux sans visages, Le masque du démon etc.
(ITA/FRA-1956) de Riccardo Freda et Mario Bava avec Gianna Maria Canale, Dario Michaelis, Carlo D’Angelo, Wandisa Guida
Editeur : Carlotta Films. Durée : 78 minutes. Image : 2.35 – 16/9 compatible 4/3. Audio : mono. Langue : italien. Sous-titres : français.Bonus : « Du sang neuf », entretien avec Jean-Pierre Dionnet (9 min 44 sec)