Ya heard me ?


Une fesse dans le golfe du Mexique, une fesse dans le Mississipi, la Nouvelle Orléans a le cul baigné par toutes les influences musicales du monde ; polka européenne, tambours nègres, grigris natifs et crincrins cajuns… Capitale d’une Amérique tropicale et poisseuse, mère nourricière du jazz, du blues, la grand’ville louisianaise a accueilli, des les années 80, sa part de rappeurs et de culture hip-hop. Comme toutes les cités états-uniennes, Nola est cernée de ghettos. Plus qu’ailleurs, sans doute, la musique y joue un rôle social majeur. YA HEARD ME retrace l’histoire de la bounce, la variante locale des sons de la rue.

La bounce n’est spécifiquement identifiée comme telle qu’au début des années 90. Mélangez un peu de dancehall jamaïcain aux sons du Miami bass, ajoutez un sample hypnotique tiré du Ragrap de Triggerman, beuglez des instructions de danse par-dessus et secouez vos miches à la vitesse du son : voilà pour le secret d’une soirée réussie. YA HEARD ME, au travers des figures marquantes du mouvement (les plus vieux ont aujourd’hui à peine quarante ans), retrace une décennie de culture des grands ensembles. Comme dans toutes les autres scènes, aussi underground soient-elles, rivalités et batailles d’égo font rage. Plus qu’ailleurs, le bounce est resté un exutoire, musique artisanale motif de fierté, porte-étendard de territoires abandonnés et prétexte à émancipation.
Après une ouverture très bling-bling, la bounce s’est coltée à un mouvement féministe vindicatif puis, plus étonnant encore, à une paire de rappeurs gays et trans revendiquant leur appartenance communautaire. Si tous les acteurs du milieu ne s’accordent pas à trouver cette sissy bounce à leur goût, reste que ces chanteurs/euses ambiguës ont su distribuer à la ronde de violents coups de pieds. Et quand certains gros culs se balancent, on ne sait plus aujourd’hui affirmer que c’est du lard ou du cochon.

Tout ça est bien joli, me direz-vous, mais n’est-ce pas un peu trop spécialisé ? Eh bien, pas si tant tellement que ça. Même si vous vous foutez de la bounce et que l’archéologie – quasi en temps réel – des musiques du ghetto vous indiffèrent, YA HEARD ME est aussi – est surtout – une vue en coupe des dernières années d’une culture de rue.
Katrina, on le sait, a surtout frappé les quartiers pauvres. Cités HLM submergées, milliers de personnes déplacées, exilées, ruinées. C’est le cyclone qui a dispersé la scène bounce, totalement effondrée du jour ou lendemain. Le genre lui-même a éclaté, certains morceaux palpitant encore, en sous-marin, à Atlanta ou Bâton Rouge. Le reportage se clôt ainsi sur les champs de ruine que sont devenues ces banlieues si actives, ou les block parties s’organisaient à l’arrache, teufs gratos et populaires sur le modèle des passa-passas de Kingston. C’est de l’histoire contemporaine, c’est important.

Et un des producteurs de bounce de conclure : « Après la tornade on n’a plus rien. La belle affaire. On n’avait déjà rien avant. La bounce est née de nulle part. On peut recommencer. Ya heard me ? »

* On cause ici d’un documentaire de 80 mn, en anglais-yo, sans sous-titres à ma connaissance. Vous en saurez plus si vous cliquez ici : www.yaheardmefilm.com

* Plus d’infos sur la bounce ici et , et on vous recommande également l’excellent mix d’Emynd, Bounce it !, disponible en libre téléchargement


A propos de Léo

écrivain du XIXème, poète maudit du XVIIIème, Léo fut auteur de nouvelles et a publié le roman de sa vie : Rouge Gueule de Bois, ambiance apocalypse alcoolique. Il traîna ses guêtres dans les favellas, il participa à la Révolution d’Octobre et milite aujourd’hui pour l’abolition du droit d’auteur. Malheureusement, il finit sa carrière en tant que pigiste à Cinétrange. Dans l’horoscope de Tolkien, c’est le troll rieur. Il est là. Domicilié à Strasbourg, ou à Rio.

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