Celluloïd Crime of the Century
« En fait, ce film n’a rien d’un divertissement » – Wes Craven
L’histoire est d’une simplicité minérale. Elle fera figure d’exemple à suivre pour tout un genre. On peut distinguer deux parties bien distinctes, la partie qui mènera au drame, le chemin de croix des victimes innocentes (Rape) et la partie de la vengeance des innocents qui s’avère être encore supérieure dans la cruauté, partie qui sera le chemin de croix des bourreaux, de façon plus ou moins expéditive (Revenge).
Pour Wes Craven et Sean S. Cunnigham la violence est dégueulasse et doit être présentée comme telle. Bien avant Haneke et ses Funny Games l’idée est de ne pas ménager le spectateur. Tu es venu te rincer l’oeil sur le spectacle, tu vas en prendre pour ton grade. Et comme pour le célèbre film de Deodato, il crée un supplément de malaise de par son origine car il a un pied dans l’exploitation et l’autre dans la réflexion. D’où l’épineux problème de dénoncer quelque chose tout en faisant son beurre dessus.
Last House est le contrepied de l’horreur de la Hammer ou de l’Edgar Poe filmique. La période était une transition entre le gothique tardif et l’horreur urbaine contemporaine. Les faits sont enregistrés de manière naturaliste (sauf le rêve de Weasel qui est la première scène onirique d’horreur de son auteur, treize ans avant Nightmare on Elm Street). Les crimes sont exposés crument. Le monstre est l’homme, même pas magnifié comme dans le giallo, juste l’homme dans sa sordidité. Le cadre est la maison, le noyau familial. La violence ne se situe pas dans les villes la nuit (la bande effraie les filles mais ne déchaine pas la violence dans l’appartement new-yorkais) mais dans des endroits bucoliques en plein soleil (Délivrance n’allait pas tarder) ou dans les foyers accueillants.
Pour le spectateur d’aujourd’hui, le métrage est réellement primitif. L’aspect soixante-huitard est bien trop daté (le débat sur le soutien gorge, l’interlude féministe de Sadie) et l’esthétique est loin d’être un régal pour les yeux (protégez-nous les yeux de cette décoration intérieure, je vous prie). La construction est chaotique, l’humour est incertain et les invraisemblances légions. Tous les intermèdes avec le duo de policiers éloignent complètement le spectateur de l’intensité du drame qui a lieu. Mais derrière toute cette maladresse, pour celui qui saura voir au delà de la forme cinématographique, des défauts, il y a des êtres humains, une démission de l’homme civilisé hélas dramatiquement probable et c’est en cela que le métrage touche profondément.
Qui sont-ils ? Il y a cette bande de petits voyous, deux amies, et le couple de parents de l’une d’elle. Le rapport de ces personnages est permanent, de façon larvée ou non, à la violence. Mari ne comprends pas celle-ci, elle vient d’un foyer où les membres de la famille débattent de tous les sujets calmement même s’il y a désaccord, elle nage plein Bovarysme (d’après elle faire l’amour à un rocker du groupe des Saigneurs serait « doux »). Ce n’est pas grave, c’est de son âge. Son amie elle est bien plus expérimentée, concernant les choses de la vie mais aussi concernant la violence (familiale, dans son cas). Ce contraste apparaitra encore plus criant dans le drame, l’une est un petit animal effrayé, une victime en puissance, et l’autre fait preuve d’une pulsion de vie très forte.
Les « monstres » ? Tout d’abord ce groupe de marginaux, qui est une sorte de famille recomposée. La figure paternelle, sa compagne, l’ami de la famille et le fils. Ils ont tous les airs des délinquants à la petite semaine. Frustres, vulgaires, sans aucune envergure. On les prend à la dérision vu les âneries qu’ils racontent. De l’autre, les Collingwood, un couple d’âge mur bourgeois qui semble un peu empêtré dans une vision réduite du monde. « Je trouve ça affreux toute cette violence » dira la mère en parlant du groupe de rock « Les Saigneurs » qui ont éventré un poulet sur scène, ce qui révèle l’ironie mordante de Craven. Quand au père, il est aimant, et lit tranquillement son journal. À la demande de sa femme concernant les nouvelles du monde, il répondra d’un ton blasé « Toujours pareil, on s’entretue gaiement ». De toute façon, ça se passe loin de chez nous, pourrait-il presque rajouter. La grande force de Craven c’est d’avoir démontré que tous sont des tueurs en puissance.
La maladresse devenant un atout alors. Avec cette totale approximation, son économie de moyens, l’interminable des plans, le refus de la coupe et du fondu au noir, le jeu des acteurs… toute la partie qui s’attache de l’arrivée des filles dans l’appartement de la bande jusqu’à la mise à mort finale dans les bois, fait partie des moments cinématographiques parmi les plus dérangeants que beaucoup de spectateurs on pu connaître. On subit, on serre les dents, et on se dit que oui, ça doit se passer comme ça. Parce que ça sonne juste. Last House reste toujours ce monstre sale et malade fait par une bande d’inconscients.
Last House ne serait pas aussi percutant sans le rôle d’une vie, celui de Krug par David Alexander Hess. Hess bouffe l’écran. Constatation : Craven a trouvé son Kinski. Incarnation d’une force perverse et primale, une force de la nature qui semble indestructible, Krug passe du statut de caïd de basse extraction, ignare et instable à monstre iconique. Il n’y a qu’à voir Krug surgir des bois avec une machette à la main (qui renvoie à la série des Vendredi 13 sur lequel travailleront Cunnigham et Miner dans le futur). Krug qui marque au couteau « sa proie » de son nom en lettres de sang. Krug qui tue sans hésitation son propre fils. C’est d’une résonnance qui fait froid dans le dos quand Craven avoue que pour ce rôle il s’est inspiré de son propre père.
Curieusement, La dernière maison sur la gauche et en réalité un remake d’un beau film de Bergman, La source, très audacieux pour l’époque.
Judicieuse remarque.
Le fait me paraissait si évident que je l’ai omis.
Le film de Bergman est lui-même tiré d’une légende séculaire.