Les Origines du Mal
« And the road leads to nowhere… » (Wait for The Rain – Last House on the Left Original Soundtrack – David Hess)
« Last House a vraiment été un exercice sur le thème de l’audace ». Sean S. Cunnigham.
1971.
Le grand public a tendance à garder une photographie mentale principalement apaisante de la période située de la toute fin des années soixante au début des années soixante-dix. Les médias populaires le temps d’une émission « nostalgique » en jouent pleinement et en ressassent tous les clichés en les agitant comme un vieux chromo recouvert de poussière qu’on extirpe du carton des souvenirs. La libéralisation des mœurs, les fleurs et la contestation spirituelle par des énergumènes en habits bariolés et tutti quanti.
Loin de cette image d’Épinal des hippies ahuris, ces années sont marquées par une crise morale et une flambée de violence mondiale. Mais plus que les autres déclencheurs, un élément va être particulièrement essentiel pour saisir l’essence de l’œuvre qui nous préoccupe. Le conflit du Viêtnam tourne en boucle sur la télé américaine. À l’heure du repas, les familles voient des montagnes de corps s’empiler et le décalage entre ce que le cinéma hollywoodien filtre quand il évoque les théâtres de la guerre sur le Silver Screen et la réalité s’avère criant.
Sean S. Cunningham travaillait dans le théâtre à Broadway en tant que régisseur et ne connaissait rien au cinéma et à son langage, le considérant comme du théâtre filmé. Viens la rencontre décisive sur Together avec un certain Wes Craven qui voulait à tout prix devenir assistant-monteur. Ils cosigneront ce Together, prétendument un documentaire mais surtout un prétexte pour dévoiler des scènes chaudes. Qui était ce Wes Craven d’alors ? Un jeune dégingandé qui a grandit à Cleveland dans un milieu d’un conservatisme à la rigidité rare qui le marquera à vie (et son cinéma tout autant). Il avait enseigné la philosophie à la faculté, était chauffeur de taxi, avait des enfants, écrivait de la poésie et des chansons. Il était, comme la majorité des compatriotes de son âge, contre la guerre du Viêtnam. Les deux enfants de la génération « Peace and Love » s’acoquinèrent vite. Un jour, alors qu’ils sortaient d’une séance d’un western spaghetti (de Sergio Léone) dont la violence grandiloquente les laissaient dubitatifs, ils se dirent, par réaction, qu’il faudrait faire un film qui montre une violence bien réelle.
Quoi qu’il en soit, le simili-documentaire coquin rentra des finances. Un scénario fut ainsi écrit en un week-end sous le nom de Night of the Vengeance. Les producteurs étaient des exploitants de drive-in. D’entrée de jeu, Craven voulait briser tous les tabous. Le X naissait, la violence urbaine jaillissait dans les productions (Le Justicier dans la Ville n’allait pas tarder à faire du bruit). Night of the Vengeance devait être à l’origine, sans ambages, un porngore. Plus tard, les acteurs rétorquèrent à Wes que : « L’histoire est suffisamment forte, les scènes pornos sont inutiles ». Il est quand même assez étonnant de découvrir que les acteurs en viennent à raisonner les auteurs sur ce point. Un jeune homme bien en colère que le Craven de l’époque, le même hippie qui brodait des textes poétiques !
Le casting se monta. S’adjoindra Fred J. Lincoln (acteur venu du théâtre à cette époque, acteur de films pour adultes qui deviendra réalisateur dans le même domaine), Lucy Grantham, une actrice X aussi, Jeramie San (la première femme de Richard Dreyfuss), Sandra Cassel, Martin Sheffler et Martin Kove, un acteur de stand up. Martin Kove (plus de soixante-dix films dans sa filmographie à ce jour) amena l’un de ses amis sur le projet, un ami qui fera grande impression. Car comme le dit Cunningham : « David Hess est un peu barjot ». Vu que Hess était musicien, il n’en fallait pas plus pour que Craven lui propose naturellement de composer la bande originale du film.
Le projet démarra ainsi dans l’erratique le plus total avec les moyens du bord, c’est à dire les 90.000 dollars précités. Décors sur place, mobilier à disposition, voiture personnelle, figurants piochés dans les familles, et surtout, Steve Miner, l’homme à tout faire, sous la main. Craven : « On devait être sept ». L’idée était de filmer comme un documentaire. Craven était directement inspiré par D. A. Pennebaker (Dont Look Back sur Bob Dylan) et le courant du cinéma-vérité. La matrice du script était La Source (1959), le métrage d’Ingmar Bergman étant lui-même l’illustration d’une légende suédoise du quatorzième siècle. Dans La Source, le paysan Töre (Max Von Sydow) venge sa fille en mettant à mort ses bourreaux, des bergers venus se réfugier dans sa demeure (le DVD est édité par Opening).
Il y eut un plan intellectuel chez le jeune réalisateur dès le début. Les garçons de leur âge mourraient et tuaient dans un tourbillon moral inique. La notion prégnante dans l’esprit de Craven et Cunningham, étaient que si eux-mêmes trouvaient ces choses affreuses, ils auraient accomplit les mêmes horreurs s’ils avaient été « là-bas ». La fin des illusions ne transformait pas en adulte apaisé. Voici venu le temps des assassins, semblaient-ils vouloir nous dire.
Toujours est-il que dans cette entreprise presque personne ne savait comment faire un film. Le tournage était éreintant. Craven : « On était sur le fil du rasoir ». Voir même empreint d’une extrême tension. Hess : « On marchait tellement à l’adrénaline qu’on n’avait même pas faim ». En clair, d’après Sean S Cunningham : « Le film était une pagaille totale ». En tout et pour tout, le projet demanda une année de travail et changea de nom en cours de route. Night of the Vengeance, le titre originel fut abandonné pour successivement ceux de Blood Simple, Grim Company, Krug & Company, Sex Crime of the Century. Finalement, Last House of the Left fut opté. Celui-ci fut déniché par le publicitaire Lee Willis, également l’auteur d’une accroche qui deviendra mythique : « It’s only a movie », phrase qu’il répétait à sa femme proprement horrifiée durant une projection du film. Les duettistes ne furent guère emballés mais gardèrent le titre.
Tout fut enfin bouclé mais les intervenants ne savaient pas encore à quel point ils n’étaient pas au bout de leurs peines.
Curieusement, La dernière maison sur la gauche et en réalité un remake d’un beau film de Bergman, La source, très audacieux pour l’époque.
Judicieuse remarque.
Le fait me paraissait si évident que je l’ai omis.
Le film de Bergman est lui-même tiré d’une légende séculaire.