Un jeune scientifique perd sa femme dans un accident de voiture. Inconsolable, après de longues expérimentations sur les cellules mitochondriales, il réussit l’impossible… lui rendre la vie. Dans sa renaissance elle n’est plus sa douce épouse désormais, mais Eve, une entité surnaturelle dotée de pouvoirs hautement destructeurs. Et Eve n’a pas de pitié pour celui qui se met en travers de son chemin.
Jamais sorti dans les contrées françaises, le film de Masayuki Ochiai (Hypnosis) se devait d’être regardé par un passionné des jeux, vu qu’il en est la bouture. Autant clouer l’annonce sans dilapider de l’encre numérique pour faire attendre ceux qui espèrent, si à l’époque pré-Ring (avant la fameuse transition où l’Asie s’est échinée à la duplication sérielle d’épouvantables petite filles d’outre-tombe aux cheveux noirs), il pouvait vaguement faire illusion, ce n’est pas trop s’avancer de dire, plus de dix ans plus tard, que c’est un ratage de cible. Cela pourrait sembler vain d’y consacrer tant de lignes à venir mais c’est pour décortiquer en quoi c’est un ratage et en quoi le plantage mérite d’être analysé face à sa soi-disant adaptation vidéoludique. Quelquefois, les loupés sont aussi instructifs que les réussites.
Situons le contexte. Le roman Parasaito Ivu d’Hideaki Sena (biologiste de formation), dans la lignée d’un Michael Crichton, devient un best-seller dans l’archipel nippon également honoré en 1995 du Premier Prix du Roman d’Horreur Japonais. Base du film qui deviendra la souche des jeux (Parasite Eve en 1997, Parasite Eve II en 1999), il met en avant une idée si percutante qu’elle paraît évidente après coup. Pour rester succinct, il s’agit d’une théorie farfelue comme les affectionne le fantastique, si partisan du fameux « et si ». Dans le cas qui nous concerne, « et si » la mitochondrie se révoltait contre ses hôtes et envisageait de débrayer l’évolution ? Sur un tempo qui oublie la ballade à pieds pour décoller à la vitesse supersonique, en n’oubliant pas de ranger l’homme, cet inutile, dans les poubelles de l’éternité. Ce genre d’énoncé semble tellement improbable qu’il faut le blinder solidement pour le rendre crédible. Seulement, est-ce plus incongru qu’un villageois qui se change en loup les nuits de pleine lune ? Voilà où cela nous mène, ce concept est un développement moderne de mythes anciens. Même si l’habillage science-fictionnel est usité, le propos ne l’est pas du tout. Loin d’être cosmétique, il déplace la bonne vieille magie (Eve peut enflammer les gens sur place) sur des terres nouvelles. Vous signaleriez que depuis Carrie ou Firestarter, rien de nouveau sous le soleil. Mais ce n’est pas le même sujet, le véritable thème de Parasite Eve quand on le dépouille de la garniture artificielle est : nous hébergeons nous-mêmes notre pire ennemi, celui qui nous détruira un beau jour. Un corps étranger tapis dans nos propres cellules depuis la prime humanité.
La réussite de l’histoire de Parasite Eve, le jeu, réside déjà dans l’ambiguïté de l’héroïne. Elle est à la fois la potentielle sauveuse universelle mais est elle-même le « monstre » le plus puissant en activité sur le globe, à part Eve. Pour arrêter la nouvelle (in)humanité, elle devra s’engager de plus en plus dans la voie du pouvoir et par là même être de plus en plus proche de l’horrible adversaire. Cette ambivalence de deux femmes fatales, « sœurs » et ennemies mortelles qui se traquent et se jaugent sans répit est le moteur du scénario de Parasite Eve de Squaresoft (Final Fantasy VII et VIII,…). Le feu contre le feu… Encore une fois, si on compare au métrage, l’Eve du jeu est une pure incarnation démoniaque qui perd progressivement toute caractéristique du genre humain.
Revenons donc au film. Celui-ci ne fait que survoler les idées évoquées et nous narre une énième redite de Frankenstein de Mary Shelley. Une jeune femme va devenir la créature prométhéenne incontrôlable qui nous dépasse totalement, au-delà de nos conceptions admises de la vie et de la nature, pour engendrer une nouvelle phase de l’existence. Tout ceci, même édulcoré, pourrait encore se révéler captivant si maints défauts ne descendaient pas en flèche le préjugé positif. Tout d’abord, la réalisation fadement télévisuelle et toute en pesanteur, ensuite le récit qui alanguit sur cinq minutes ce qui pouvait être traité en une, et caviarde de nombreux dialogues scientifiques « informatifs ». Reste à garder en mémoire la beauté diaphane de Riona Hazuki et la BO de Joe Hisaishi (s’il faut vraiment le présenter, il est le compositeur attitré de Miyazaki et Kitano) qui exprime un caractère mélancolique et douloureusement intime, en décalage avec les images ripolinées qui défilent devant nous. Mais pire que tout, l’enrobage de bons sentiments se succède et conduit à un final qui est un feu de Bengale des clichés les plus mélodramatiques.
Quelle déception donc, une fois passées les deux heures de décors laborantins, les effets spéciaux parcimonieux et surtout les longueurs qui tournent autour du pot. Nous voilà en présence d’un thriller SF poussif dont le riche postulat est constamment sous-exploité.
Constatation ; le film Parasite Eve reste encore à tourner.
Jamais le métrage ne nous fait ressentir l’implacable accroche de cette série d’œuvres : « The worst foe lies within the self ».
toujours égal à lui-même UDK