Que deviennent-ils, seize ans après, les foufous de l’Etrange Festival ? Comment supportent-ils de voir pousser leur bide et leurs cheveux se faire la belle ? Plutôt pas trop mal, en fait, pour des gens qui ont passé leurs belles années devant de VHS de nunsploitation. Et en même temps, pas si tant bien que ça. Le rêve du cinéclub lycéen s’est transformé en passion, la passion en rituel. Et avec le temps, l’énergie a finit par s’étioler. Par laisser l’envie un peu seulette.
Le blabla d’ouverture de cette étrange édition – on nous la présente comme intermédiaire, joint entre le rendez-vous traditionnel d’automne et la reprise d’un cours normal des choses au printemps prochain – ce discours liminaire sentait un peu la lassitude. La nécessité de faire un peu de pédagogie. De revenir, encore, sur ce qu’est cette manif, aujourd’hui repoussée à l’autre bout du calendrier par l’essor de festivités aux dents plus longues, mieux léchées, bien dans l’air du temps. Et moins audacieuses, sans doute, aussi.
L’EF, c’est là que vous avez pu voir un film de Park Chan-wook, de Guy Maddin ou d’Hayao Miyazaki pour la première fois, parmi des dizaines d’obscurs devenus grands. C’est là que se deale le plus de vieilleries méconnues, de nouveautés titillantes, de films invisibles, d’inédits pour dix ans encore, le tout lardé de commentaires savants et collé à la bave de fan. Pas de distinction d’âge, de pays, de genre ou de format, mais des mètres de courts, de longs, de documentaires – tout a droit de cité pour peu que ce soit vaguement intéressant, intriguant, stimulant. Ou, plus simplement encore, étrange.
Chaque année, l’équipe arrive lessivée par les préparations. Chaque année, le public de fidèles est ravi des les revoir. J’ai l’impression que cette fois on a tout de même franchi un cap dans la crèverie. Et j’espère de tout cœur que la team reviendra remontée à bloc pour notre dose habituelle au mois de mars. Boostée par une subvention grasse qui leur permettrait de se sentir moins précaires, par exemple. Ou juste par un peu de reconnaissance pour l’incroyable boulot de défrichage et de passage accompli depuis tout ce temps…
Mais foin de chougneries, au menu de ce premier jour il y avait :
OUTRAGE de Takeshi Kitano
Annoncé comme un retour du Maître au film de yakuzas (oui, c’est officiel, on donne désormais du Maître à tous les cinéastes branchouilles qui ont eu droit à leur expo à la fondation Cartier), Outrage n’est pas loin d’être ça. Et en même temps c’est un peu dépitant, tant il n’y reste plus rien de ce qui faisait le charme des histoires de mafieux, à part peut-être un cliché jauni sur les amitiés viriles flic vs. truand.
Exit le mythe, le grand récit, le rapport à l’histoire. Évincée la psychanalyse, dépiautée la sociologie, la lutte des classes ou l’étude de mœurs. Le dernier Kitano est un mélange de Festen et de Marx Brothers.
Le monde du crime y est montrée comme une famille dysfonctionnelle, dans laquelle chaque fiston chercherait à se faire bien voir de Papa. Et pour gratter des points, tous les coups y sont permis. Les mensonges grossiers, les manipulations épaisses. On en finit par se demander quand les gangsters trouvent le temps de commettre leurs larcins tant ils semblent occupé à se trouer les uns les autres. Voilà pour la dimension psychodramatique.
Le reste, c’est un festival de tartes à la crème, une enquillade de saynètes du quotidien, dans lesquelles la violence se love comme le ver au fruit. Une porte de toilette claque : on sait qu’un gros bras attend derrière et que du sang va bientôt gicler. Un téléphone sonne : on comprend qu’un zigoto de plus s’est fait émincer, qu’au mieux ça ne va tarder. Un otaku veut un bol de nouilles : il va y pleuvoir de la viande fraîche. C’est mécanique, systématique, presque grisant à force de répétition. Mais ça n’est pas très intéressant.
Le film s’ouvre sur un lent panoramique des futurs assassins – victimes – comploteurs – traîtres. Une ribambelle de bambins en costumes chics, avec de belles chaussures noires qui brillent, de grosses voitures luisantes comme des corbillards, de gros flingues en acier poli. Quelques pas de danse et puis on saccage ce bel alignement à coups de cutters et de giclées d’hémoglobine. Fantasme de petit garçon qui ne veut pas ranger sa chambre.
et puis aussi :
FOUR LIONS de Chris Morris
Un film pas très réussi, mais qui a le mérite de foutre les pieds dans le plat à cake et de projeter du glaçage partout. Four Lions est une comédie britannique sur le terrorisme, contant l’étrange amitié de quatre jihadistes pourris (quatre et demi, en fait), bien décidés à se faire sauter la tronche pour la gloire d’Allah.
C’est filmé caméra à l’épaule, avec ces inserts d’images de vidéosurveillance et de flicks youtube devenus incontournables pour donner une impression de réel (et pointer la pingrerie de la prod). Choix esthétique d’autant plus bizarre qu’on ne doute pas un instant d’être dans de la parodie, et pas forcément la plus fine. Sur la parodie blabla, la galerie de trognes au vitriol, avec sidekicks débiles et/ou déplaisants le contrat est rempli. Le scénar est bien épicé au mauvais goût, sans trop d’ambiguïté politique histoire de rester amis. Et les dialogues sont classiquement abusés, entre provo et nonsense, un peu comme si Cartman avait bouffé John Cleese (yerk).
La vision de l’Islam en Europe est un chouia plus subtile. On note plusieurs ruptures d’attentes dans le récit, montrant une certaine finesse de propos sur une situation facile à caricaturer. Mais ce qui m’a le plus plu sont les deux – trois moments de surréalisme brut, où le film se moque du film lui-même. En particulier une séquence formellement très bien foutue où la femme et l’enfant du héros lui rappellent à quel point c’est trop cool qu’il aille se fasse péter le caisson comme un couillon.
Et puis : la fin est chouette. Voire, soyons fou, émouvante.
C’est plutôt pas mal de ricaner de tout ceci. Dix ans après, on a du mal à imaginer les Etats-uniens faire ce genre de bêtises avec le 11/09. Le métro de Londres a pourtant explosé, lui aussi. Et ça n’empêche pas l’amour. (Ni de glousser aux insultes en ourdou d’une abyssale grossièreté.)
Concernant OUTRAGE, je l’ai trouvé très intérressant d’un point de vue sociologique. C’est le monde de l’entreprise du « capitalisme avancé ». Pas forcément très subtile comme image, mais les réactions des personnages en fonction de leurs propres attentes (grimpé dans la hierarchie/ ne pas perdre la face (c’est presque la même chose) ça pourrait être une illustration du travail de Norbert Elias sur « La société de cours ».)
En fait le début (premier 15 minutes je pense) est très bien assez classique, mais toujours efficace. Après ça devient chiant, beaucoup trop longe, à ce point qu’on s’attend à une mise en abîme schizophrénique (le dispositif s’y prête) mais ça ne décolle pas/jamais. On en reste au même pôint de départ de l’intrigue. En fait on pense que ça stagne (deux caïds sont en lutte de respect et d’honneur par hommes de mains interposés) mais on comprend que tout ce beau monde chute. Ca tombe, lentement (très lentement) au début et pendant plus d’une heure avant l’accélération (relative finale).
La fin est par contre exemplaire en terme de signification dans la société qui la produit, à mon avis.
Kitano est et reste un personnage assez secondaire pendant tout le film. En fait on s’attend à ce qu’il finisse par vraiment s’énervé pour calmer tout le monde et remettre de l’ordre, mais ça n’arrive jamais, il reste extraordinairement soumis. Il n’est pas le « yakuza moderne » (cf. « Okita » de Fukasaku, réalisateur auquel il a rendu hommage par le passé, sous bien des aspects) Son seul geste héroïque (quand même) sera voué à l’insignifiance la plus totale: alors qu’il sait que tout est perdu (et quand il dit ça, on s’attend encore à ce qu’il se transforme en Terminator) il confie son seul revolver à son camarade désarmé pour lui permettre de fuire. Il est tué immédiatement après sans pouvoir s’en servir, Kitano se rend à la police. Tout le monde se rend au système, fini l’individualité (Kitano est tué en prison par le type dont tout le monde à rigolé au début, pas de « belle mort » (cf. les mafieux de Scorsese)), fini l’héroïsme, même le parrain n’inspire plus de respect à son homme à la fin, les belles actions de Kitano sont toutes inutiles, broyées par le système.
Noir c’est noir. Pas triste, pas ennuyeux, juste trop réaliste…
A noter des touches vraiment rapides et discrètes d’une musique excellente, une élèctro désincarnée qui est je crois semblable à celle de Terminator.
Ah oui, je voulais placer ça aussi:
Le parrain a le look de Kim Jong-il et il a vraiment jamais la classe. Ca pourrait illustrer le gros reproche que je ferai: l’absence totale d’ambiguité dans la psychologie des personnage. Alors que la durée du film aurait permis de creuser un peu plus tel ou tel personnage (en virant par exemple tout l’épisode assez ridicule, et incompréhensible dans l’intrigue, du casino dans l’ambassade du Ghbanana.)
« Le parrain a le look de Kim Jong-il et il a vraiment jamais la classe. »
Carrément d’accord. Son jogging brodé or est hideux.
Je n’avais pas envisagé la lecture « capitalisme avancé », très intéressante. Mais te rejoins tout entier sur l’inutilité embarrassante de l’intrigue gbanienne.
L’un dans l’autre, Outrage c’est pas terrible.
Immédiatement après avoir écrit ça, je me suis dit que c’est injuste de dire « incompréhensible » puisqu’il suffit d’utiliser la grille que j’ai proposée pour l’expliciter en disant qu’il s’agit d’une très grossière illustration de la main mise des multi-nationales sur l’ensemble du monde social, y compris les Etats, (en particulier les plus faibles).
Mais c’est vraiment pas fait de manière intelligente, ni drôle (ce qui est pire puisque ça semble être l’effet recherché.)
Trop fort, j’ai pensé à Kim Jong-il, aussi.
Ben sinon, quitte à paraitre bêtement gaucho, il m’est paru évident que le sous-texte est une sorte de critique caustique d’une forme de libre entreprise version mâle dominant devenue cinglée et qui mange ses propres enfants. Ou plutôt qui se cannibalise, les vieux se bouffent et les jeunes aux dents longues prennent leurs place, pour ensuite se manger de nouveau, et ainsi de suite, dans un système complétement tordu mais qui tient le coup. Certes, c’est loin d’être révolutionnaire dans le principe, c’est même un vieux motif du cinoche (le microcosme dévoilé reflète l’esprit de la société toute entière) mais ce n’est pas là le problème, d’ailleurs ça fait longtemps qu’on attends plus une révolution. C’est juste qu’on voit venir tout le film depuis le début, d’autant plus si on a vu les autres films de yaks du même réalisateur, et au final, c’est pas très palpitant parce que voulu répétitif et proche du plancher des vaches. Après, c’est le débat Naturalisme Vs. Glorification du gangster. Outrage n’est pas mauvais mais pas transcendant non plus, en somme.